Vendredi, Dassault Aviation et le consortium Eurofighter remettront au gouvernement indien leur offre pour la fourniture de 126 avions de combat d’une valeur de huit milliards et demi d’euros environ. L’appel d’offres de New Delhi précise que le contrat portera sur la livraison de dix-huit appareils seulement, les suivants devant être construits par l’industrie indienne. Le verdict pourrait être connu rapidement, dans l’hypothèse où l’une des deux propositions serait nettement moins chère que l’autre. Les deux types d’appareils répondant aux exigences opérationnelles indiennes, le prix devrait en effet être l’élément déterminant de la décision. A terme, la commande pourrait être portée à 180 appareils.
Les deux rivaux jouent gros, l’un et l’autre cherchant à obtenir des commandes à l’exportation jugées d’autant plus nécessaires que les mauvaises perspectives budgétaires, partout en Europe, risquent de mettre à mal les dépenses de Défense. L’Allemagne, notamment, envisage de réduire ses achats d’Eurofighter/Typhoon, pour des raisons conjoncturelles qui, à la lumière de l’actualité, se passent d’explications.
Le dossier indien retient tout particulièrement l’attention en fonction de données inhabituelles. En effet, étonnamment, les candidats américains ont été écartés, tout comme le Gripen suédois et la proposition russe. De ce fait, seuls sont restés en lice les deux frères ennemis européens, dans le cadre d’une dualité incongrue, dispersion coûteuse et inutile des moyens du Vieux Continent. A terme, on sait d’ores et déjà qu’elle ne se reproduira pas : les Anglais et les Italiens ont rejoint le programme américain F-35 Joint Strike Fighter, ce qui revient à dire qu’ils ont purement et simplement choisi le renoncement. Ce faisant, ils ont aussi tourné le dos à l’Europe, un choix que l’on est en droit de considérer comme une faute.
Avant cela, Typhoon et Rafale continueront de s’affronter, 25 ans après l’échec de négociations qui auraient dû donner naissance à un programme européen unique. Pour la petite histoire, à condition de faire preuve d’un peu d’audace, on peut considérer que ledit échec est à ranger, partiellement tout au moins, parmi les dommages collatéraux de l’affaire du Rainbow Warrior qui avait éclaté dans la nuit du 1er au 2 août 1985. Comme l’a noté notre confrère Germain Chambost (1), le ministre de la Défense, Charles Hernu, était empêtré à ce moment-là dans l’affaire du sabotage du bateau de Greenpeace. D’après le général Jean Rannou, cité dans cet ouvrage, si le général Bernard Capillon, alors chef d’état-major de l’armée de l’Air, avait insisté, il aurait pu convaincre Charles Hernu de continuer de négocier avec les autres partenaires européens.
Un quart de siècle plus tard, il est évidemment inutile de revenir à cet épisode. Le cavalier seul de la France a mené au Rafale, dont 286 exemplaires sont prévus et 180 commandés à ce jour. Mais la production en est limitée au rythme minimum de 11 exemplaires par an. Une victoire en Inde aurait des conséquences d’autant plus bénéfiques, de même que de grands espoirs reposent sur trois autres marchés potentiels d’actualité, le Brésil, la Suisse et les Emirats arabes unis.
Les membres d’Eurofighter (EADS/Cassidian, BAE Systems et Finmeccanica/Alenia) ne sont pas moins avides de nouveaux succès à l’exportation. Ils ont remporté deux victoires, l’une en Arabie saoudite, l’autre en Autriche, mais ils s’inquiètent déjà d’une fin de programme prévue avant la fin de la décennie s’ils ne trouvent pas de nouveaux acheteurs. Le 300e Typhoon a été livré le mois dernier, une occasion pour Enzo Casolini, directeur général d’Eurofighter, d’affirmer avec fierté qu’il s’agit de «la plus grande coopération européenne». Ce qui n’est pas nécessairement exact, ce titre méritant sans doute de plutôt revenir à l’hélicoptère NH-90 de N.H. Industries et, côté civil, bien sûr, à Airbus. Mais c’est finalement sans importance.
Drones mis à part, l’Europe ne développera sans doute pas de nouvelle génération d’avions de combat. Si ce n’est la participation de deux pays Eurofighter au JSF américain, le comble de l’opportunisme et du renoncement.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) «Rafale, la véritable histoire», Editions Pascal Galodé, 2007