"Alors, vous allez bien?
-Hum hum
-Pas convaincant.
-Hummm
-Vous savez qu'on ne va pas aller bien loin comme ça,
-Mhhhh.
-Ça va, j'ai compris.
-Et toi, comment vas-tu?
-Mhhh."
Il avait accompagné ses semblants de réponse d'une mimique enfantine et je m'étais pris au jeu.
"Tu ne veux peut-être pas en parler?
-Si, pas de problèmes, je suis là pour ça non?
-Oui, le jeu consiste à exprimer ce que tu ressens, ce qu'il te passe par la tête, et on en discute après.
-Combien de fois vous m'avez dit que la thérapie n'était pas un jeu mais un travail?
-Mhhhmhhh
-Très bien, je n'éluderai pas la question ainsi.
-Mhhh
-J'espère franchement que vous n'allez pas me faire ça à chaque séance, c'est drôle au début mais...
-Mhhhmhhh.
-Bon. A part un échec personnel de plus, rien de neuf sous les tropiques.
-Un échec personnel de plus?
-Oui. On s'est vus lundi. Mardi, je suis allé visiter un appartement.
-Ah oui, quand même. Tu suggères une idée et tu la mets en oeuvre le lendemain.
-Connerie de spontanéité. 'Fin bref. J'avais fait mes calculs, l'appartement était pas trop mal, juste à la République, loyer pas cher. Bon, loin d'être le confort absolu, mais enfin.
-Et puis,
-J'en ai parlé le soir à mon père, je ne savais pas du tout comment aborder le sujet avec ma mère...
-Oui, je comprends bien.
-Finalement le mercredi j'ai eu droit à une discussion à la con en famille sur ma décision.
-Comment l'a pris ta mère,
-Tellement bien que finalement je vais encore rester à la baraque...
-Ah oui, pourquoi, elle ne supportait pas l'idée?
-Pas vraiment, je ne sais pas. Elle m'a simplement dit que d'une part elle ne se porterait pas garante pour moi, et que d'autre part je n'étais pas encore prêt à habiter seul.
-Ah oui. Donc il y a cette contrainte financière, ce n'est pas un échec personnel.
-Je ne sais pas. Il y a bien le côté financier, duquel j'aurai pu passer outre, ou m'arranger.
-Oui enfin, ça te met quand même déjà bien les bâtons dans les roues.
-Ouais.
-Et puis, pourquoi tu ne serais pas prêt à habiter seul?
-Parce qu'apparemment je suis tout à fait incapable de gérer un budget, ce qui n'est pas totalement faux. Et surtout, je serai trop "faible psychologiquement".
-Je vois. Mais elle t'a expliqué ce point de vue?
-Oui, en prétextant que si je vivais seul, j'aurai toute liberté de renouer avec mes démons et que, dès que ça n'irait pas, je replongerai dans l'alcool et la drogue, que je me renfermerai encore plus sur moi-même et serais vraiment seul.
-Oui, il est vrai qu'habiter seul est déjà difficile au début pour tout le monde.
-J'avais pris en compte ce fait, et je suis bien conscient que s'il y a bien une manière de me sentir encore plus seul que je ne le suis déjà, ce serait dans ce cas. Mais enfin, ce n'était pas le plus important. Je pense que j'aurai su m'y accommoder.
-Et que penses-tu du second argument?
-Il me débecte. Rien que ce mot: faible. Bordel de merde.
-Toujours ce désir de te montrer fort, à l'épreuve de tout?
-Oui, et?
-Apprends simplement à lâcher prise, à te laisser dépasser.
-Ouais.
-Et cet argument, tu l'as entendu?
-Je l'avais déjà envisagé aussi. La possibilité d'abuser de la liberté, de retomber dans les excès ou de ne pas supporter la solitude. J'avais pensé à tout. Mais là, me dire qu'habiter seul équivalait à me retrouver au cimetière six mois plus tard...
-Tu interprètes ses pensées en disant cela?
-Ah non, ce sont ses mots. Pas une interprétation ou une extrapolation, ces mots, littéralement.
-Ah oui! Mais c'est dur de dire ça! Tu ne trouves pas?
-Peut-être, je ne sais pas.
-Mais attends, te balancer ça comme ça à la figure...
-Oui. Mais de toutes manières, un seul fait prouve qu'elle a raison, une fois de plus.
-Et lequel?
-Simplement le fait que j'étais déterminé à partir, et que j'ai changé d'avis, que je me suis plié à ses arguments. Effectivement, je dois être encore trop "faible psychologiquement"
-Pourquoi te plier à l'image qu'elle a de toi?
-Je ne sais pas. Peut-être parce que je ne vois rien lorsque je me regarde dans un miroir, que j'ai le sentiment de ne pas exister vraiment. On en revient toujours aux mêmes choses.
-Dans ce cas, ce que tu ressens, ce sont ses émotions ou les tiennes?
-Les miennes.
-La littérature, l'écriture, c'est elle qui te l'a donnée?
-Non, c'est moi. L'écriture, si j'y parviens un jour, et même ma culture, du moins ce que j'en aie, je pourrai le considérer comme étant propres à mes efforts, et à ceux de personne d'autre.
-Alors tu vois que tu existes...
-Peut-être."
Je restais silencieux, en repensant à ce qu'il venait de dire.
"Par contre, je comprends mieux maintenant certaines choses. Je me demande si tes dépendances, tes excès et tes débordements, ne sont pas liés à tout cela, à cette dépendance affective dont tu parviens apparemment à te défaire petit à petit.
-Ce serait vraiment une excuse facile, non?
-Bien spur, tu y es pour quelque chose. L'alcool et les drogues étaient tes choix propres, mais il y a toujours une origine, une certaine fondation.
-Peut-être."