L’idée de « faire payer les riches », souhaitée de façon unanime par l’ensemble de la classe politique, repose sur une double ignorance : l’une sur l’origine des revenus, l’autre sur le rôle de l’impôt.
Par Jean-Yves Naudet
Article publié en collaboration avec l’aleps
S’il y a un point sur lequel la classe politique est unanime, c’est bien celui-ci : il faut faire payer les riches. La campagne électorale qui s’ouvre promet toutes les surenchères dans ce domaine. Seules les motivations avouées varient. Ici, il est question de hausses d’impôts sur les plus riches pour réduire les déficits et la dette. C’est la version « économique », à droite. Là, ces mêmes hausses ont pour objet de réduire les inégalités et de faire régner la justice sociale : c’est la version « sociale », à gauche. En fait, cette belle unanimité cache une double ignorance : l’une sur l’origine des revenus, l’autre sur le rôle de l’impôt.
« Ils paieront trois fois : sur leur patrimoine, sur l’immobilier et sur leur revenu »
Qui l’a dit ? Valérie Pécresse, Ministre du Budget, en visite à Marseille, interrogée par La Provence. Question : « Mais, en matière de recettes, n’est-il pas temps de demander plus aux privilégiés ? ». Réponse : « C’est ce que nous faisons. L’effort supplémentaire en matière de fiscalité de 10 milliards sera supporté à 82% par les grands groupes ou les ménages les plus aisés ». Et d’y insister avec délices : « Ceux-ci paieront trois fois, sur leur patrimoine, sur l’immobilier et leur revenu ». L’ultra-libéralisme est bien au pouvoir !
De fait, la préparation puis maintenant la discussion du projet de loi de finances ont été l’occasion d’une vertueuse surenchère entre droite et gauche : qui proposera les hausses d’impôts les plus fortes sur les hauts revenus ?
Le gouvernement a proposé une taxe supplémentaire sur les revenus les plus élevés : 3% de plus. Notons que nos concitoyens ont eu du mal à comprendre le débat car la presse, dans sa majorité, a parlé d’une taxe de 3%, oubliant que c’était une taxe « de plus », s’ajoutant aux impôts habituels (par exemple à la tranche à 40%, passée l’an dernier à 41%, sans compter CSG et CRDS, ce qui nous mène bien au-delà de 55%).
Trop peu, dit la majorité « de droite » : au lieu de 3% à partir de 500 000 euros, ce sera 3% entre 250 000 et 500 000 euros, et 4% au delà. Le gouvernement cède à la pression des députés. La taxe sur les hauts revenus « durcie pour calmer la majorité » titre le journal Les Échos. Certains députés centristes ont souhaité d’emblée une tranche à 45%, ce qui, avec la CSG et autres, nous mène à près de 60% : oublié, le temps du bouclier fiscal à 50%.
La gauche est en embuscade, notamment au Sénat, où elle a la majorité, et elle veut aller plus loin. Quant à l’extrême-gauche, elle en est restée à la formule magique de feu Georges Marchais « Tout prendre ». Enfin, et non le moindre, Marine Le Pen se croit obligée de fustiger « l’ultralibéralisme » du gouvernement : 60% de prélèvement du revenu, ce n’est pas assez à ses yeux.
On comprend donc que le gouvernement hurle avec les loups. Mais la chasse aux riches est également ouverte aux États-Unis : Barack Obama se réjouit d’avoir proposé en septembre un plan de réduction du déficit financé par moitié par les hausses d’impôts. Comme le titre Le Monde : « Pour réduire le déficit public, M. Obama veut mettre les riches à contribution ».
Les revenus ne sont pas volés, mais gagnés par le service rendu
Pourquoi faut-il taxer de plus en plus les hauts revenus ? Une première explication, plutôt donnée « à gauche », tourne autour des inégalités. Il y a des écarts de revenus, et pour la gauche ils sont tous injustifiés, toute inégalité étant injuste. Réduire les écarts de revenus, en donnant des prestations aux plus pauvres et en surtaxant les riches, permet de rétablir la justice sociale.
Mais de quels revenus parle-t-on ? S’il s’agit des revenus « primaires » (avant toute redistribution) ils sont la contrepartie de services productifs : rendus par ceux qui apportent leur travail (salaires), leur épargne ou leur financement (intérêts), leur esprit d’entreprise et leur art de gérer (profits). Intérêts et salaires découlent d’un contrat librement signé ; personne n’a été contraint : certains sont payés plus que d’autres, ce n’est ni par charité, ni par favoritisme, mais parce qu’ils apportent davantage à l’entreprise. Faut-il rémunérer tout le monde au même niveau ? Mais « il n’est de pire injustice que de traiter également de choses inégales » disait déjà Aristote. Quant au profit, il rémunère l’entrepreneur individuel ou les actionnaires, qui ont été à l’origine de l’activité productrice en prenant en compte les orientations des marchés, c’est-à-dire les besoins de la communauté. Bill Gates ou Steve Jobs ont gagné beaucoup d’argent. Est-ce illégitime ?
De la nécessité des écarts de revenus
Seul le client sait apprécier la valeur du service rendu par l’entreprise. Il ne peut y avoir aucune injustice dans le fait que le client préfère certains services à d’autres. En dernière analyse c’est le client qui paie salaires, intérêts, profits. Comme Hayek l’a expliqué, le terme de justice sociale n’a pas de sens, puisque le résultat est la conséquence de millions de décisions individuelles : personne n’a commis une injustice, le résultat est ce qu’il est. Il y a des revenus injustifiés : ce sont ceux qui résultent de privilèges accordés par les pouvoirs publics, de monopoles, de professions artificiellement fermées, de rentes de situation, de fixation arbitraire des prix. Toutes choses qui résultent d’interventions étatiques manipulant les marchés. Mais, sur un marché libre, ouvert, informé, bref de concurrence, les revenus n’ont pas à être corrigés ; les écarts sont ce qu’ils sont, ils ne peuvent être injustes en soi sur un vrai marché. L’impôt n’a pas à être redistributif, puisqu’il n’y a pas eu d’injustice à réparer.
Cet écart est d’ailleurs nécessaire pour pousser chacun à progresser, à rendre de meilleurs services. Même les « autorités morales » le reconnaissent. Il y a plus d’un siècle, en 1891, dans Rerum novarum, le Pape Léon XIII (§14-1) disait : « Lhomme doit accepter cette nécessité de la nature qui rend impossible, (…) l’élévation de tous au même niveau. Sans doute, c’est là ce que poursuivent les socialistes. Mais contre la nature, tous les efforts sont vains. C’est elle, en effet, qui a disposé parmi les hommes des différences aussi multiples que profondes (…). Cette inégalité d’ailleurs tourne au profit de tous (…). Ce qui porte précisément les hommes à se partager ces fonctions, c’est surtout la différence de leurs conditions respectives ». Il n’y a donc pas à corriger d’inégalités, puisque celles-ci ne sont pas injustes par nature. Quand l’impôt devient une pénalité visant les revenus de ceux qui rendent les plus grands services à la communauté, c’est une atteinte à la propriété et c’est une spoliation injuste. L’impôt ne doit pas être progressif, mais proportionnel : le même taux d’imposition pour tous (principe dit de la « flat tax »).
Pour diminuer les déficits, il faut diminuer les impôts…et les dépenses
Mais qu’objecter à ceux qui préconisent la progressivité et demandent des « sacrifices » aux riches au prétexte de combler les déficits nés de la crise ? On peut d’abord leur faire remarquer que ce sont les déficits qui ont créé la crise des dettes publiques, et que les États en ont rajouté une couche en prétendant relancer la croissance par lesdits déficits ! On doit aussi leur expliquer que l’impôt a aussi un effet sur l’offre : plus l’impôt augmente, plus se réduit l’incitation à travailler, épargner, investir, entreprendre. C’est la courbe de Laffer, connue en réalité dés le 18° siècle, en particulier des physiocrates, de l’abbé Baudeau à Turgot. Baudeau avait constaté que quand l’impôt sur la « marée fraiche » était élevé, il y avait peu de chariots de poissons à taxer et donc peu d’impôts. Quand Turgot a diminué de moitié l’impôt, il est venu quatre fois plus de poissons et le Trésor royal y a gagné, parce que la matière imposable avait fortement augmenté. Comme le disait déjà Voltaire en commentant la politique de Turgot : « Le vrai moyen d‘enrichir le roi et l’État est de diminuer tous les impôts (…) et le vrai moyen de tout perdre est de les augmenter ».
C’est encore plus vrai de l’impôt sur les hauts revenus. Ceux-ci sont sensibles à sa progressivité. La question est la suivante : est-ce que j’ai intérêt à travailler ou entreprendre plus, donc à gagner plus, si je paie 50%, ou 70% d’impôts, sur ce gain supplémentaire ? Avant Margaret Thatcher les contribuables anglais pouvaient payer jusqu’à 98 % de leurs revenus ! Augmenter les impôts, cela réduit la matière imposable en décourageant les plus entreprenants, et réduit donc la recette fiscale. Pour avoir de nouvelles recettes, il faut baisser l’impôt, ce qui relancera production et revenus, donc les recettes fiscales, en incitant chacun à produire plus. Bien entendu, cette baisse du taux de l’’impôt doit s’accompagner d’une baisse radicale des dépenses publiques.
Faire payer toujours plus les riches ? C’est une bien mauvaise idée, que ce soit en termes de justice ou d’efficacité. Pour être juste, l’impôt doit être moins redistributif, donc moins progressif ; pour être efficace, il doit être moins élevé.
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