Y a-t-il un lien entre l’affaire DSK et l’Elysée ?
Michel Garroté – Les enquêtes sur DSK et sur l’hôtel Carlton de Lille ne redémarreraient qu’au printemps 2012, en pleine campagne pour l’Elysée, ce qui ne serait pas facile pour le PS. De là à penser que l’affaire DSK a des connections politiciennes et électorales, il n’y a qu’un pas ; et certain l’ont désormais franchis.
Ainsi, Bernard Delattre, écrit (extraits adaptés ; lien en bas e page), sur http://www.lalibre.be :« Cette rocambolesque affaire de mœurs lilloise commence à prendre une vilaine tournure. Une odeur de soufre. Et un parfum d’hypocrisie ? La rocambolesque affaire lilloise du "Carlton" prend une vilaine tournure. Lorsqu’elle avait éclaté, il ne s’agissait somme toute que d’un dossier de mœurs pouvant tout au plus heurter une certaine morale. Dans cette affaire de prostitution de luxe dans des hôtels de Lille (dont le "Carlton") et de parties fines tarifées à Paris, en Belgique ou a Washington, ne sont impliqués que des adultes majeurs et consentants. Mais, de fil en aiguille, l’affaire s’est corsée. Elle a complètement décapité la hiérarchie policière de Lille (Nord). Le chef de la sûreté départementale a été suspendu, après sa mise en examen pour proxénétisme aggravé en bande organisée. Ce qui n’est pas rien : c’est puni de sept ans de prison et 150’000 euros d’amende ».
Bernard Delattre : « Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, a confirmé que serait muté à Paris rien moins que le directeur départemental de la sécurité publique, qui venait d’être placé en garde à vue pendant plusieurs heures, dans cette affaire. C’est un très haut responsable policier : il avait plus de 5’000 agents sous ses ordres. Le ministre nie que cette mutation soit une sanction, mais ses propres commentaires ("S’il a la possibilité de prendre sa retraite, c’est à son initiative") en disent long sur la suite de la carrière de l’intéressé. L’institution policière française n’avait pas besoin de cela, elle qui est encore sous le choc de l’incarcération de hauts responsables de la police judiciaire de Lyon cette fois, dans un dossier à peine moins rocambolesque de stupéfiants. L’affaire du "Carlton" pourrait ouvrir de délicats débats sur des usages encore très opaques dans le monde des affaires. Ce dossier de mœurs s’est doublé d’un scandale financier : il y a eu des mises en examen pour escroquerie, abus de biens sociaux, et faux et usage de faux ».
Bernard Delattre : « Car un homme d’affaires impliqué dans ces agapes tarifées les a facturées à son entreprise : une filiale du géant Eiffage, le troisième groupe français de travaux publics. Eiffage condamne "fermement" ces "actes individuels", contraires à son "éthique". Mais l’avocat de son cadre mis en examen a contre-attaqué. Selon Me Dupond-Moretti, vedette du barreau de Paris, "chez Eiffage, les gens qui devaient savoir savaient. C’était un secret de Polichinelle". L’émoi suscité chez lui par cette affaire tiendrait donc de la "mauvaise foi", voire de l’hypocrisie. "On fait semblant de découvrir que la prostitution est utilisée dans le monde des affaires, mais c’est quelque chose qui existe depuis des temps immémoriaux. Il arrivait à Eiffage de fournir des prostituées majeures et consentantes lors d’opérations de lobbying". Avec le milieu policier et le monde des affaires, un troisième secteur pourrait être bousculé par ce scandale : la classe politique. Cela découle évidemment de l’implication présumée de Dominique Strauss-Kahn. L’ex-n°1 du FMI soutient, depuis le début, que le mêler à cette affaire relève d’insinuations" et d’extrapolations hasardeuses et malveillantes ».
Bernard Delattre : « Si les enquêteurs parviennent à prouver que DSK savait que ces ballets roses étaient réglés par Eiffage, ce serait du recel d’abus de biens sociaux. S’il apparaît que ces services présumés lui ont été offerts et facilités par des personnes espérant un renvoi d’ascenseur après son élection à l’Elysée – élection plausible, au moment des faits -, on ne serait pas loin du trafic d’influence. Au demeurant, la demande du parquet que les magistrats lillois soient dessaisis du dossier nourrit un double soupçon. Cette requête est soit dénoncée, par certains inculpés, comme révélatrice de la volonté du pouvoir d’"étouffer" un dossier sensible. Soit elle est vue, par d’autres, comme une manœuvre machiavélique. Délocaliser ce dossier dans une autre juridiction le mettrait temporairement au frigo. L’enquête sur les mœurs présumées de DSK ne redémarrerait alors que dans quelques mois. Au printemps 2012, par exemple : donc en pleine campagne pour l’Elysée, ce qui ne serait pas facile à gérer pour le PS. Dans un sens ou dans un autre, dès lors, ce procès d’intention ne contribue pas au crédit de la classe politique, dans l’opinion », conclut Bernard Delattre.
Pour ce qui me concerne, je note qu’au-delà de ce que l’on nomme « l’affaire DSK », il y a, depuis plus de quarante ans, sous la Ve République, une culture bien étrange où se mêlent régulièrement sexe, intérêt de l’Etat et entreprises. Je ne prétends pas que la France ait le monopole en la matière. En revanche, j’affirme que tout cela ne pourrait pas avoir lieu, sans conséquences juridiques sérieuses, en Allemagne, aux USA ou en Suisse. Faut-il en déduire qu’en matière de gouvernance et d’éthique, la Sarkozie se situe au même niveau que le Zimbabwe et l’Equateur ? Au-delà de DSK, c’est toute la classe politique, avec tous ses mauvais coups et avec tous les coups qu’elle tire, qui aurait besoin, me semble-t-il, d’un sérieux coup de balai.
Michel Garroté
Rédacteur en Chef