J’ai longtemps hésité, retenu par le « qu’en dira-t-on » ou je ne sais quel sentiment, comme ma timidité naturelle. Et puis j’ai franchi le pas, ce premier élan qui coûte tant mais qui ensuite vous libère d’un tel poids que vous pensez avoir conquis une liberté fondamentale.
Une fois par mois, la ville organise l’enlèvement des encombrants, ce qui permet aux habitants de se débarrasser de toutes leurs poubelles trop volumineuses pour que les camions-bennes quotidiens en viennent à bout. Le jour J, les trottoirs sont jonchés de meubles cassés, de cartons pleins de souvenirs enfin oubliés, de débris en tout genre. Une véritable foire à la farfouille qui attire les professionnels de la brocante. Dans leurs petites camionnettes ils sillonnent la ville au pas, d’un œil expert ils scrutent les tas de rebuts et y piochent quand ils repèrent ce qui pourra peut-être se convertir en une affaire.
Ces grands déballages m’avaient depuis longtemps fait saliver, j’adore les brocantes et les marchés aux puces, mais fouiller dans les poubelles des gens et ce, devant leur porte et donc sous leurs yeux éventuellement, merci bien. Alors, je passais nonchalamment, laissant mes yeux traîner plus que de raison sur ces merveilles dissimulées, car certainement qu’au cœur de ces débris se cachaient des trésors qui m’enchanteraient si jamais j’osais.
Je me contentais donc d’évaluer l’intérêt de tel ou tel objet, si jamais je me laissais tenter à le récupérer et puis, je passais mon chemin et rentrais chez moi les mains vides mais des regrets plein la tête. On ne construit pas sa vie sur des regrets, alors j’ai osé.
Le jour des encombrants tombait la semaine dernière. Le matin de bonne heure, mais pas aux aurores non plus, je me suis lancé dans ma quête, un sac à dos léger pour seul compagnon de razzia. Il n’était pas question de farfouiller dans chaque amas, j’avais donc limité mes ambitions à une recherche précise et ciblée, trouver des bouquins intéressants. Pour cette première sortie, je l’ai joué modeste et discret, n’empruntant que les petites rues, négligeant les encombrants si un passant était à proximité, bref l’amateur qui fait ses premiers pas en terrain inconnu.
Pour ma chasse il faut que la météo soit au sec, car repérer des bouquins trempés par l’averse n’engendre que la déception. Cette première expérience a été fort instructive, je n’ai déniché qu’un seul bouquin, mais j’en ai tiré beaucoup d’enseignement. La prochaine fois, je partirai plus tôt en expédition car j’ai croisé trop souvent le camion des enlèvements et je n’hésiterai plus à sillonner les artères plus importantes, le regard des autres m’est indifférent en fait.
Et d’ailleurs quelle sorte de honte pourrait me retenir ? Ces déballages sur les trottoirs sont destinés à être détruits, la récupération n’a rien d’avilissant c’est même devenu de nos jours, un geste citoyen, écologique. Mon but, récupérer des livres. J’entends parfois que la culture coûte cher, que les livres ne sont pas donnés etc. Certes, mais moi qui lis beaucoup, je m’aperçois que je peux obtenir de nombreux ouvrages à des prix ridicules ou gratuits, les pistes sont multiples, les encombrants comme je viens de le dire, les brocantes, vides greniers et marchés, près des containers à papier parfois, dans mon local poubelles, etc.
Biffin, un métier d’avenir, pour moi en tout cas.