Quand on a appris que le cinéma hollywoodien comptait porter à l’écran les aventures de Tintin, le célèbre reporter de bandes-dessinées imaginé par Hergé (1), sous forme de film en motion-capture (2), on avoue que l’on n’a pas franchement été emballés.
En effet, les rares tentatives de transposer au cinéma l’univers du dessinateur belge n’avaient pas été de franches réussites. On a d’ailleurs oublié la première d’entre elles, en 1947, un film d’animation avec des poupées de chiffons reprenant la trame du Crabe aux pinces d’or et signé Claude Misonne (3).
Au début des années 1960, deux films de fiction avec des acteurs en chair et en os (Jean-Pierre Talbot dans le rôle de Tintin, George Wilson puis Jean Bouise dans le rôle du capitaine Haddock) ont tenté de donner vie aux personnages d’Hergé en partant sur des scénarios originaux : Tintin & le mystère de la toison d’or et Tintin & les oranges bleues. Un pari audacieux. Les acteurs étaient plutôt convaincants, les histoires, fidèles à l’univers d’Hergé, et l’action bien menée. Pourtant, malgré ces qualités, la plupart des fans du petit reporter belge ont fait grise mine. Difficile d’accepter de voir les personnages d’Hergé et leurs traits si particuliers, icones de de la bande-dessinée, incarnés par des acteurs en chair et en os.
C’est peut-être pour cela que les tentatives suivantes ont consisté en des dessins animés classiques, respectant le style de Hergé. Premier essai en 1969 avec l’adaptation de Tintin & le temple du soleil. Second essai en 1972 avec un scénario original, Tintin & le Lac aux requins. Des films ayant connu un certain succès public, mais qui n’ont pas conquis les inconditionnels de la bande-dessinée, ni même Hergé d’ailleurs… Et depuis, plus rien…
La seule autre adaptation des aventures de Tintin a été destinées à la télévision, dans les années 1990, également sous forme de dessins-animés de 45 mn, assez rudimentaires.
Non, il n’est pas simple de porter à l’écran un tel monument de la bande-dessinée, connu et apprécié dans le monde entier par des lecteurs de 7 à 77 ans. Aussi, on pouvait craindre le pire de cette version cinématographique en provenance des studios hollywoodiens, qui ont une fâcheuse tendance à dénaturer totalement les oeuvres dont elles s’inspirent et à les formater au goût d’un public de bouffeurs de popcorn…
On a toutefois très vite été rassurés en apprenant que c’étaient Steven Spielberg et Peter Jackson qui allaient prendre les commandes de cette adaptation. Ce n’étaient pas les moins doués des metteurs en scène, surtout en ce qui concerne le cinéma d’aventures… Et surtout, on sentait chez eux une réelle envie de redonner vie au personnage sur grand écran. Tous deux étaient des admirateurs d’Hergé et de Tintin, et Spielberg avait même envisagé depuis longtemps l’adaptation cinématographique des aventures du petit reporter belge.
En fait, le projet datait de 1983. A l’époque, Spielberg venait de connaître un gros succès public avec Les Aventuriers de l’arche perdue. Certains établirent le parallèle entre Indiana Jones et Tintin. Cela attisa la curiosité de Spielberg, qui n’avait jamais entendu parler du héros de Hergé. Une de ses amies lui offrit “Le Crabe aux pinces d’or”. Il le dévora, ainsi que tous les albums de Tintin déjà parus et réalisa très vite le potentiel cinématographique de ces histoires.
Il contacta Hergé pour obtenir les droits d’adaptation de son oeuvre, avec dans l’idée de produire – déjà – une trilogie autour du personnages de Tintin. Il envisagea de signer le premier volet et de confier la réalisation des deux autres à ses amis François Truffaut et Roman Polanski. Pour l’anecdote, il pensa à Henry Thomas pour incarner Tintin et Jack Nicholson pour jouer Haddock – Tonnerre de Brest!
Le dessinateur fut enthousiaste et donna son accord, mais, gravement malade, décéda juste après. Truffaut décéda lui aussi l’année suivante et Polanski, après maintes tergiversations, préféra se concentrer sur ses Pirates. Ceci coupa net l’élan créatif de Spielberg, qui partit lui-même sur d’autres projets. Mais l’idée resta ancrée dans le crâne (de cristal) du cinéaste et ressortit près de 30 ans après, pour un film en motion capture et en relief, autour des trames du “Secret de la Licorne” et du “Trésor de Rackham le Rouge”…
On était donc rassurés… Et puis, on a vu les premières images et de nouveau, on a été saisis de quelques doutes quant au résultat final. Avec ce procédé de motion-capture et d’images de synthèses, on s’éloignait quand même pas mal des personnages de Hergé et le résultat était assez étrange. Intéressant, mais assez froid, assez austère. Allait-on vraiment accrocher à ces personnages et rentrer dans le film?
La réponse est donnée dès les premières secondes du film, et elle est affirmative, grâce à une mise en place ingénieuse. Le générique est en animation classique et passe en douceur à la 3D en ouvrant le film sur le visage de Tintin, incarné par Jamie Bell et revu et corrigé par les effets numériques. Et contre toute attente, le procédé est assez intéressant. Les techniciens de Spielberg & Jackson ont trouvé le bon compromis entre la rondeur du dessin d’Hergé et le réalisme apporté par la motion capture, qui restitue les expressions des acteurs. On n’est plus tout à fait dans la bande-dessinée, pas encore complètement dans la prise de vues réelles, juste dans un entre-deux qui exploite parfaitement les avantages des deux supports. Forcément, il se trouvera toujours des fans de Tintin pour crier à l’hérésie, mais globalement, il faut bien reconnaître que c’est plutôt réussi, et que l’on retrouve même des petites expressions typiques du dessin d’Hergé – de petites rides d’expressions entre autres – sur les visage de Tintin ou du Capitaine Haddock.
Le scénario ne traîne pas. On est immédiatement plongé dans l’intrigue, qui commence comme dans un film d’Hitchcock : Lors d’une promenade sur le marché aux puces de Marolles, à Bruxelles, Tintin a le coup de foudre pour une maquette de bateau, une reproduction de La Licorne, beau trois-mâts du XVIIème siècle . Il acquiert l’objet pour une somme modique mais, à peine a-t-il payé le vendeur – qui ressemble étrangement à Spielberg, d’ailleurs – qu’un homme distingué, Ivan Sakharine, tente de le lui racheter . Tintin refuse. L’argent ne l’intéresse pas et le bateau lui plaît. Un autre inconnu, Barnabé, l’aborde et le prévient qu’il court un grave danger s’il garde la maquette…
Comme pour lui donner raison, l’appartement du reporter ne tarde pas à être cambriolé, et la maquette dérobée. Mais les cambrioleur n’ont pas trouvé ce qu’ils cherchaient : un petit parchemin caché dans le mat du bateau, qui semble être un indice menant au trésor de Rackham Le Rouge, le célèbre pirate.
Tintin est prêt à enquêter sur cette histoire, formidable sujet d’article, mais les choses s’accélèrent : Barnabé est assassiné devant ses yeux, puis un pickpocket subtilise son portefeuille – et le parchemin avec – sous les yeux des détectives d’Interpol, les Dupondt, et pour finir, Tintin et son chien Milou sont capturés par des gangsters à la solde de Sakharine. Ils sont emmenés à bord du Karaboudjan, qui fait route vers l’Afrique du Nord.
Tintin ne tarde pas à échapper à la vigilance de ses geôliers et tombe nez-à-nez avec un autre prisonnier : le Capitaine Haddock, marin alcoolique trahi par son équipage, et accessoirement, héritier du capitaine de La Licorne et clé de l’énigme proposée aux chasseurs de trésors.
Ensemble, Tintin et Haddock vont tenter de trouver l’ultime indice avant le vil Sakharine et ses sbires…
… Et c’est là que les choses se gâtent pour le film de Spielberg.
Autant la première moitié du long-métrage est habilement menée et respecte l’oeuvre d’Hergé, autant la seconde est assez affligeante de paresse – oui, de paresse, on ose le dire… – et se vautre dans les travers classiques des blockbusters américains.
En ce qui concerne la première partie du film, le trio de scénaristes britanniques – Steven Moffat, Edgar Wright & Joe Cornish – a effectué un joli travail d’adaptation, respectant fidèlement la trame de la bande-dessinée tout en lui imposant quelques aménagements – on pense à la rencontre entre Tintin et Haddock, qui, sur papier, avait lieu pendant “Le Crabe aux pinces d’or”. La présentation des différents protagonistes et des enjeux de l’aventure est efficace et baigne dans une ambiance mystérieuse fort sympathique.
Mais patatras, à partir du moment où Tintin et Haddock unissent leurs forces, le film perd de son mystère et de son charme. Les péripéties s’enchaînent à un rythme effréné. Trop, sans doute, pour permettre au cinéaste de développer ses personnages et l’amitié naissante entre le reporter et le vieux loup de mer.
C’est d’autant plus rageant que les scènes d’action sont inutilement alambiquées, à l’image de la délirante course-poursuite finale ou du combat de grues entre Haddock et Sakharine.
Ce n’est plus du Tintin. Ce n’est même plus du Indiana Jones – ou alors le calamiteux 4ème opus. C’est du blockbuster formaté et sans âme : on a la désagréable impression de voir des séquences conçues uniquement pour pimenter le jeu-
vidéo qui accompagne la sortie du film – et probablement est-ce le cas…
Pire, l’humour – une des grandes forces des albums d’Hergé – se retrouve dilué dans cet océan d’action assez basique et lourdingue. Les personnages à vocation comique sont un peu sacrifiés. Pas de Professeur Tournesol, totalement absent de cet épisode – on le verra peut-être dans le prochain film – des Dupondt qui n’ont qu’une ou deux scènes pour arracher un sourire du spectateur, et une Castafiore, qui ne bénéficie que d’une brève – mais bruyante – apparition…
Du coup, on ne rit pas vraiment, et on s’ennuie face à une action aussi poussive, surlignée par un relief totalement inutile, servant juste d’argument commercial supplémentaire…
Même les jurons du Capitaine Haddock manquent curieusement de peps. C’est dire…
On aimerait bien les ressortir, là, pour protester contre le traitement que Spielberg et ses scénaristes ont fait subir à la seconde partie du film : Moules à gaufres! Ostrogoths! Zapotèques! Coloquintes à la graisse de hérisson! Ectoplasmes! Marins d’eau douce! Bougres d’amiraux de bateaux-lavoirs! Mitrailleurs à bavette! Rhizopodes! Bande de bachi-bouzouks des Carpathes!
Ah! Bougres de scélérats! Comment avez-vous osé dynamiter ainsi toutes les belles promesses faites au début du film? Comment avez-vous pu, in fine, trahir l’esprit d’Hergé qui, ne vous en déplaise, Mister Spielberg, n’aurait certainement pas apprécié de voir ses histoires si savamment élaborées se transformer en suite de péripéties bouffonnes destinées à faire vendre du popcorn ou des produits dérivés estampillés Tintin…
On y a cru, mais finalement, on est déçus…
Pas par la motion capture, ni par le scénario intelligemment construit, mais juste parce que Le Secret de La Licorne ne parvient pas à se distinguer du lot des films d’aventures proposés chaque année par Hollywood. On prend un certain plaisir à le suivre, il faut bien le reconnaître, mais on l’oublie aussi très rapidement une fois les lumières rallumées.
On attend mieux de la part de Steven Spielberg, grand cinéaste qui nous a enthousiasmés avec des vrais bonheurs de cinéma, qui nous a fait frémir, rire ou réfléchir, qui nous a émus aux larmes et qui, depuis quelques années, à l’exception d’une ou deux réussites, semble se contenter du minimum syndical.
Il ne nous reste plus qu’à espérer que Peter Jackson sera plus inspiré pour le second volet, qui devrait nous emmener du côté du Temple du Soleil…
(1) : “Les Aventures de Tintin” de Hergé – 24 albums publiés entre 1929 et 1986 – éd. Casterman
(2) : Motion capture : procédé qui enregistre les mouvements et les expressions faciales d’un acteur à l’aide d’électrodes savamment disposés sur le corps de ce dernier, puis qui applique ce mouvement à un personnage en images de synthèse.
(3) : Le Crabe aux pinces d’or de Claude Misonne. Il n’a été projeté qu’une fois en 1947 avant d’être saisi suite à la faillite du producteur. Il est ressorti en DVD en 2007.
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The Adventures of Tintin: Secret of the Unicorn
Réalisateur : Steven Spielberg
Avec : Jamie Bell, Andy Serkis, Daniel Craig, Simon Pegg,
Nick Frost, Toby Jones
Origine : Etats-Unis, Nouvelle-Zélande
Genre : Tonnerre de Brest
Durée : 1h46
Date de sortie France : 26/10/2011
Note pour ce film : ●●●○○○
contrepoint critique chez : Filmsactu
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