Tenir le Mât

Les galas sont toujours des buffets chinois.
Une partie de ce qui s'y trouve a bon goût, une autre est franchement trop grasse, une autre tellement négligeable qu'on oublie qu'ils sont offerts, le reste tellement mauvais pour la santé que n'en pourra survivre la durée.
Mais si il fallait juger du meilleur de l'industrie cuisinière, ce n'est pas l'obèse qu'il faudrait consulter. Ce sont les cuisiniers.
Le gala de l'ADISQ est un show télé. Oui, une cérémonie de remise de prix qui veut honorer les artisans d'une certaine industrie mais d'abord et avant tout un show télé. Il doit donc obéir aux lois de la télé. Pour ce faire il doit faire la pute et avoir un gros commanditaire qui va trainer comme un étron qui ne voudrait pas quitter le bol, flush après flush, pendant tout le gala. C'était le poulet pendant des années, je crois que c'est maintenant, justement, le papier cul.
Je comprends l'envie de faire appel à la télé car l'écoute télé est massive, l'impact direct. Titanesque. Obèse. On voit Trucbine à la télé, "aaah! c'est eux qui chantent ça!" et qui sait peut-être demain va-t-on trainer leur nom au bureau, dans l'auto, dans la rue, peut-être va-t-on acheter leur galette et leur faire faire recette, peut-être poussera-t-on le plaisir jusqu'à assister à un de leur spectacle, où là, vraiment, l'artiste fera la passe financière. Je comprends très bien la publicité, le blé, que génère la publicité. Je crois même qu'en ses temps de guerre avec l'internet, le monde de la musique multipliera les essais pour garder la tête hors de l'eau.
Mais un gala comme celui de dimanche dernier c'est la honte. C'est une macédoine de marde. Un buffet dégueulasse.
À la base, le concept ne fonctionne pas. S'inscrire et payer pour gagner? L'idée n'est pas nouvelle, même les Oscars demandent un droit de stationnement dans le garage des statuettes. Mais l'idée est nulle. Si on veut vraiment honorer la musique, pourquoi demander un prix d'entrée? Le prix d'entrée devrait être le son, point à la ligne. C'est tellement bête que la formation Les Trois Accords, une formation qui aurait dû rafler quelques honneurs cette année-là, ne sachant pas qu'il fallait s'inscrire pour gagner du poulet une statuette, a été forcé de regarder le gala de son salon comme la plèbe.
Parlant de la plèbe. Comme c'est un show télé et qu'on veut flatter les châtons dans le sens du poil (ce qui va à l'encontre de ce que la musique devrait offrir en général, c'est-à-dire du décoiffage) on engage alors du populaire dans l'animation. Et cette portion est généralement réussie. Le voilà le vrai trait d'union entre le milieu qu'on veut honorer et le simple amateur: l'animateur du gala. Toutefois en faisant aussi voter le public on arrive à des résultats archi non-crédibles qui portent ombrage aux artistes et nous font placer le regard sur le mode de votation.
Marc Dupré?
WHAT
THE
FUCK?
En faisant entrer le public dans le choix des gagnants, on fait entrer le client dans la cuisine et ça donne ce que ça donne, c'est-à-dire, n'importe quoi. Eric Lapointe a-t-il sorti un album cette année? Peut-être je ne sais trop, mais ça reste de la poutine non? Les Cowboys Fringants ont exorté le public de ne pas voter pour eux car dans la grande absurdité du gala, ils n'ont absolument pas fait d'album l'an dernier et à peine quelques spectacles de leur ancien matériel. Ils ont écrit et enregistré leur prochain album qui sera sur le marché mardi prochain et sur le net déjà depuis quelques temps. Ils ont gagné quand même. Malgré leur absence de musique cette année. Ça m'a rappellé l'année ou Richard Séguin (91?92?) avait gagné deux ans de suite dans la catégorie du meilleur chanteur pour un album vieux de trois ans. Mes Aïeux l'an dernier s'était excusé en reçevant le même prix que les Cowboys du meilleur groupe de l'année en disant qu'ils n'avaient rien fait dans leur année mais qu'ils étaient bien contents. Les Fringants Cowboys ont accepté le prix mais à prime abord, si ils savaient qu'ils avaient écrit toute l'année et ne méritaient probablement pas ce prix, pourquoi s'étaient-ils inscrits au gala? Parce qu'ils ont un gérant. Un gérant qui veut faire des sous. Et on revient à la sacoche, la publicité, le blé.
Le public doit être gardé à distance, behind the wall, on évoque "toaster" sur scène comme les Cowboys Fringants l'ont fait mais on ne lui donne pas la main du marionettiste. Au risque de nous faire un show plate. Comme dimanche dernier.
Le public est indispensable aux artistes. C'est l'eau du moulin. Moulin à Blé. Mais de l'assoir sur la chaise du connaisseur, c'est faire de la confusion des genres. Il ne faudrait plus s'étonner, ni se choquer de voir de simples amateurs de musique de salon comme Patrick Huard ou Stéphane Laporte juger, coacher et conseiller des musiciens en herbes* dans des auditions de show de saucisses? Fuck no! Je cracherai toujours dans cette soupe.
Le Québec n'a tellement pas à avoir honte de ses talents comme Mister Valaire, Alfa Rococo, Vallières, les Cowboys Fringants** qui sont en tout point le son et la voix du passé, du présent et du futur de la province à tête de chien; le Québec a de telles trésors dans sa cuisine pourquoi faire tenir le mât gauchement à Gilles Vigneault dans un hommage où les taouins qui l'honoraient ne connaissaient même pas les paroles ni l'oeuvre de celui qui était honoré? La cour est si pleine de bons aliments, pourquoi honorer encore les frites dans le buffet?
Les galas en général, du très très petit l'ADISQ au grands Oscars, atteindront bientôt la crédibilité zéro parce qu'au fond, pour réèllement leur rendre honneur il faudrait faire comme avec les Prix Nobels*** et les offrir en 15 minutes dans une conférence de presse. Pourquoi pas à la radio, lieu de naissance de l'industrie de la musique après tout?

Parce qu'Elvis. Qui a amené de l'image dans la musique. Image qu'a relayé la télé, la télé qui a donnée la visibilité, la publicité, la sacoche, le blé,etc. le moulin tourne. Le bâteau coule.
C'est idéaliste et puriste me direz-vous et vous aurez raison, mais c'est aussi dommage.
Nos oreilles méritent mieux.
Et même nos yeux.
(Brigitte Boisjoli...ostie!)
Tout les goûts sont dans la nature me direz-vous.
Pas obliger de ne récompenser que les buffets dans nos shows de cuisine.
*Davantage des chanteurs de karaoké, je sais
**et un paquet d'autres
***Qui exigent aussi du blé pour s'inscrire et gagner