La crise actuelle, de son doux nom "crise de la dette" (une crise sans petit nom n'est pas une vraie crise), m'étonne à plusieurs titres.
La première chose qui me surprend, c'est le déni irrationnel qui entoure la situation de la Grèce. Si j'en crois ce que je lis et ce que j'entends ici et là, cela fait plusieurs mois que l'on sait qu'elle ne peut pas rembourser toute sa dette. On le savait déjà avant l'été, voire même bien plus tôt. Pourtant, les marchés et les politiques ont fait comme si de rien n'était, et il a fallu attendre fin octobre pour que cette réalité soit enfin reconnnue. Aujourd'hui d'ailleurs, tout le monde dit craindre la faillite de la Grèce. Mais techniquement, et très officiellement, on vient bien de dire à tout le monde qu'elle était en faillite à 50% non ? Et étant donné le mécanisme pervers dans lequel les grecs sont maintenant entrés (les taux augmentent, donc la dette est plus diffiicle à rembourser, donc les taux augmentent), grosso modo on sait déjà que la décote doit être plus forte que 50%. Je caricature peut-être, mais j'ai l'impression qu'on ne débat plus que sur du vocabulaire pour savoir si on va déclarer ou non la faillite.
La deuxième chose qui me tarabuste, c'est le zoom persistant mis sur la Grèce. Les marchés ont d'une certaine façon déjà avalé l'hypothèse du défaut grec, connaissant sur tous les continents une chute brutale depuis juillet, qui dépasse très largement ce que représente l'économie grecque dans le monde ou même en Europe. Pourtant, au moindre filet d'information sur les difficultés héléniques, patatras, il se recassent la figure. Bien sûr, ils n'évaluent pas que la situation grecque mais aussi l'instabilité qu'elle génère en Europe et sans doute le risque systémique dont elle peut être le premier symptôme marquant. Mais tout de même, je trouve cela excessif. Ou plus exactement, il me semble que la Grèce ne doit plus être la question centrale et ne devrait donc plus susciter de telles réactions. Je ne vois pas bien ce qu'on va concrètement résoudre en sauvant 10% de plus ou de moins de la dette grecque. L'enjeu désormais est sur d'autres pays si on veut justement éviter l'effet domino. Il s'agit de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal, et dit-on aussi, de la France (et là vus nos fondamentaux, je ne comprends pas complètement je dois dire).
Je m'attarde un tout petit peu sur ce deuxième point qui m'intéresse beaucoup. Je me demande s'il n'est pas un cas d'école de psychologie collective. Qu'est-ce qui crée une tension ? En physique on mesure la tension par la différence de potentiel entre deux bornes électriques. Chez un individu, c'est une situation vécue de paradoxe, comme un dialogue intérieur qui se ferait entre deux voix qui tirent dans des sens opposés. Par exemple, une personne qui doit apporter un changement à sa vie est en situation de tension tant qu'elle n'a pas réellement pris la décision d'aller vers ce changement en renonçant à ses vielles habitudes. Une partie d'elle la pousse vers la transformation, l'autre la retient dans ses travers. Le jour où elle accepte d'abandonner ses habitudes, elle retrouve la sérénité et peut aller vers le changement plus efficacement.
Les marchés et les politiques me donnent tous l'impression de ne pas avoir encore accepté la situation grecque comme une réalité. Comme s'ils disaient tous en serrant les dents "je ne veux pas y croire, je ne veux pas y croire". Du coup ils restent très (trop) sensibles à toute nouvelle qui concerne la Grèce. Sauf que c'est déjà arrivé. C'est derrière nous maintenant. Ca ne veut pas dire qu'il faut laisser couler les grecs dans leur coin. Mais il me semble que nos radars doivent être tournés vers d'autres directions si l'on veut avancer.
Cette crise par ailleurs, apporte à mes yeux des enseignements que je trouve très intéressants. Le plus important est celui de la place nécessaire du politique dans le monde moderne. Depuis pas mal d'années on a lu de tous côtés que ce sont les marchés, les grandes multinationales, etc, qui font le monde et que les politiques ne sont plus que des pantins sans réel pouvoir. Il me semble que rien n'est plus faux et que la crise actuelle en est un exemple éclatant. Les marchés n'attendent que ça tous les jours justement : savoir ce que les politiques décident, en espérant être rassurés.
On ne peut pas avancer dans une économie mondialisée sans politique. Pour une raison qui m'apparaît aujourd'hui aussi limpide qu'évidente, et qui m'amène à ma deuxième constatation : la mondialisation exige une vision systémique, et donc des dispositifs de gouvernance systémiques. On ne raisonne plus dans le modne d'aujourd'hui, comme on pouvait raisonner il y a 30 ans. Et c'est maintenant notre défi, celui auquel cette crise nous confronte, de mettre en place les dispositifs de gouvernance adéquats. C'est cette question que l'on pose déjà en Europe lorsqu'on évoque la gouvernance de l'euro. Et je rejoins totalement Authueil lorsqu'il écrit que la question pour nous est celle de l'Europe fédérale. Je persiste à penser que personne n'est mûr pour ça. Mais c'est bien la question que nous aurons à résoudre dans les années à venir.
Je termine avec un point inspiré par cette vidéo. Je ne suis pas un apôtre de la décroissance. Sans doute sans bien savoir pourquoi. Mais d'un point de vue logique, la croissance éternelle me pose un problème. C'est des maths. La croissance éternelle signifie l'application d'une fonction exponentielle à l'infini. Dans un monde fini je ne comprends pas comment ça peut marcher. Pourrait-on imaginer que désormais, au moins en occident, nous avons atteint le niveau de richesse suffisant pour bien vivre tous ? Et que la question n'est donc plus d'accroître cette richesse mais de savoir mieux l'utiliser ? Peut-on évoluer vers une croissance "horizontale", je veux dire par là vers une autre forme de croissance, qui ne seraient plus économique ?
P.S : bien sûr vous aurez reconnu en illustration un dessin de Vidberg, qui est définitivement mon blog bd favori.