L’état d’insurrection larvée qui prévaut en Syrie depuis près de dix mois ne met pas en cause la survie du régime du président Bachar al Assad, mais a pour conséquence immédiate la neutralisation d’un pays qui a toujours été un acteur-clef des évènements au Moyen-Orient. Alors que le monde arabe et le monde musulman connaissent des changements radicaux, une nation qui est au coeur des fractures historiques et religieuses de la région depuis des siècles se retrouve ainsi marginalisée. Et Assad, occupé à mâter des révoltes internes multiformes, se retrouve éliminé de la gestion de dossiers essentiels comme la question palestinienne, le nucléaire iranien, ou l’équation libanaise.
Le président syrien doit en effet faire face depuis février à une campagne soutenue de désordres récurrents, qui embrasent une région avant de se déplacer vers une autre. La contestation politique et économique est alimentée par des tensions tribales, des ressentiments confessionnels, et des fractures au sein des forces armées. Assad se retrouve assailli par ces défis à son autorité, qui sont autant d’interférences dans son sytème centralisé et clanique de gestion du pouvoir. Face à cette stratégie de harcèlement permanent, la répression a été sanglante mais le régime, sous pression de ses pairs arabes et de la communauté internationale, est toutefois incapable de déchaîner contre les opposants toute la force de son appareil sécuritaire. Et d’étouffer dans le sang la révolte –comme l’avait fait Hafez al Assad, dans l’affaire de Hama, en 1982.
Rien n’indique que le maintien au pouvoir du président Assad soit remis en cause: l’armée lui reste fidèle, tout comme les grandes villes, Damas ou Alep, et les milieux d’affaires. L’opposition est divisée et ne s’est pas mise d’accord pour le moment sur une stratégie et une direction commune. En outre, les influences étrangères sont limitées en Syrie, qui à l’inverse de la Tunisie et de l’Egypte, n’offre pas de relais à des protagnistes qui souhaiteraient influencer les évolutions politiques internes du pays.
Les troubles en Syrie ont toutefois une conséquence tangible, qui –simple coïncidence, sans doute– correspond à un objectif ouvertement poursuivi par la diplomatie américaine: celui d’affaiblir l’élément syrien d’un front qui regroupe Téhéran, les milieux pro-iraniens en Irak, le mouvement du Hezbollah au Liban et le Hamas, à Gaza. Washington avait fait du découplage de l’entente Damas – Téhéran un but essentiel de son action au Moyen-Orient. Le Département d’état s’était même engagé sur la voie de la normalisation avec la Syrie, avec l’espoir qu’Assad se laisserait convaincre d’abandonner son soutien à la République islamique. Cette stratégie, incompatible avec l’alliance historique forgée pendant la guerre Iran-Irak entre les Syriens et les Iraniens, avait totalement échoué.
Mais aujourd’hui, l’agitation en Syrie limite les capacités d’intervention du régime auprès de ses alliés: L’Iran va devoir affronter seul les nouvelles pressions sur son programme nucléaire et les menaces d’actions militaires préventives de la part d’Israël; le Hezbollah devra gérer sans l’appui de Damas sa mise en cause de plus en plus pressante dans l’assassinat du premer ministre libanais Rafic Harriri en 2005; et les Palestiniens sont également privés du soutien syrien au moment où l’état hébreu mutiplie les annonces de développements des colonies dans les territoires occupés de Cisjordanie.
Cette neutralisation de la Syrie présente sans doute des avantages pour ceux qui considèrent que le réglement d’un problème passe par l’élimination des protagonistes plutôt que la recherche d’une solution. Mais l’histoire du Moyen-Orient a largement démontré que cette approche était erronée et ouvrait la voie à de nouvelles tragédies.