Si le cinéma n’est pas une motivation première pour aller crapahuter à l’étranger (il faudrait pour cela que j’habite près d’une frontière… ou que je sois riche et capricieux !), c’est tout de même une tradition qui s’est installé au fil des voyages. Lorsque je suis à l’étranger, j’aime aller fureter dans une salle de cinéma. Je l’ai fait à San Francisco, je l’ai fait à Seoul, et l’été dernier je l’ai encore fait à Dublin (il y a quinze ans, je passais à côté de l’occasion de le faire en Espagne). Ce week-end, j’ai ajouté Bruxelles à mon tableau de chasse.
Cela aurait pu être pour Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne. Après tout je me retrouvais dans la capitale belge précisément le week-end suivant la sortie du film évènement de Steven Spielberg. Le plus célèbre héros belge était immanquable dans les rues bruxelloises, entre les affiches vantant la sortie du film aux quatre coins de la ville, les personnages s’insérant dans de nombreuses publicités, les bandes-dessinées d’Hergé présentes dans chaque magasin associé de près ou de loin à la culture. Les belges sont fiers de voir Hollywood s’emparer de Tintin et le font savoir. Au centre-ville, près de la station de métro De Brouckère, une toile géante rappelait à ceux qui ne le savaient pas encore l’importance de la sortie du film de Spielberg cette semaine. Il restait même encore un peu partout en ville des traces de l’annonce de la Première Mondiale du film, en présence de l’équipe bien sûr.
Seulement voilà, Les aventures de Tintin était déjà passé sous mes yeux à Paris, et je préférais profiter de Bruxelles pour voir autre chose. En cheminant à travers la ville, le cinéma qui m’a le plus attiré l’œil était une salle art & essai situé dans une belle galerie commerçante rappelant les passages parisiens, en plus grand et plus beau. D’autant que cette salle affichait notamment Howl, un film indépendant américain jamais sorti en salle chez nous, prenant pour héros le poète américain Allen Ginsberg, interprété pour l’occasion par James Franco. Mais s’il m’aurait plu de voir le film, les séances ne s’accordaient pas à mon emploi du temps.
Mon créneau pour voir un film, c’était le dimanche matin à 11h. Tout de suite, les possibilités s’amenuisent, et se limitent même rapidement au cinéma situé juste à côté de l’appartement où je loge, l’UGC De Brouckère ; Et le film le plus tentant à l’affiche dans ce multiplexe bruxellois, certainement du fait que le film n’était pas encore sorti en salles à Paris, était Contagion de Steven Soderbergh. Les autres films étaient soit déjà vus, soit des films que je pouvais voir dès que je serai rentré en France. Ce sera donc Contagion !
A Paris, il est rare que j’aille au cinéma à la première séance du matin, tout du moins voilà longtemps que je ne l’ai pas fréquentée. Mais je souhaite à tous les spectateurs français que les séances matinales soient mieux gérées que celles du cinéma bruxellois dans lequel je me suis rendu. Imaginez un peu la scène : nous sommes le premier dimanche suivant la sortie du plus gros film de l’année, Tintin, dans un multiplexe du centre-ville de la capitale belge, à une heure où la place est seulement à 5€. Douze salles, dont quatre (!) pour Les aventures de Tintin : le secret de la licorne (une en VF 3D, une en VO 3D, une en VF 2D, une en VO 2D). Douze séances qui toutes sans exception commencent à la même heure, 11h. Et pour gérer ce flux de spectateurs attendus… une seule caisse d’ouverte.
Bien sûr, il y a les bornes automatiques, mais le public de ce dimanche matin est un public familial, des parents avec leurs enfants, des grands-parents, et ceux-ci n’ont pas l’air détenteurs de cartes illimitées (oui, en Belgique aussi il y a des cartes illimitées, et j’avais la mienne sur moi, mais elle ne fonctionnait pas aux bornes belges et je devais donc faire la queue à la caisse). Les spectateurs sont venus à la séance du matin avec leurs billets de 5€ et doivent donc passer par la caisse. La seule caisse. En entrant dans le hall du cinéma et en découvrant cette loooooongue file d’attente pour acheter sa place, je tire rapidement un trait sur la possibilité de voir les bandes annonces. Au fur et à mesure que la queue avance, mes amis et moi nous demandons même si nous allons pouvoir entrer dans la salle avant que le film commence. Cinq minutes, dix minutes, quinze minutes, vingt minutes. Au bout d’un moment, vers 11h10, alors que toutes les séances sont entamées et que les films vont commencer dans six ou sept minutes tout au plus, la queue est encore longue, et il paraît évident que si nous allons réussir à avoir notre place de justesse sans rater le début du film, ils sont nombreux derrière nous à être assurés de le rater, eux.
La manager du cinéma, sentant qu’il serait temps de faire quelque chose pour sauver la situation, annonce en début de file d’attente que les personnes munies de carte bancaire peuvent acheter leur place aux bornes plutôt qu’en caisse. Il s’adresse à un couple de retraités en voyant qu’elle a sa carte bancaire en main. Celle-ci, outrée, est en fait à une place d’arriver en caisse et balance au manager « Maintenant que je suis arrivée là je ne vais pas sortir de la queue ». Quelques spectateurs suivent le manager jusqu’aux bornes, celui-ci offrant aux spectateurs de leur expliquer comment cela fonctionne, mais la queue reste trop longue.
Lorsque notre tour arrive de pouvoir acheter notre place, la seule employée de tout le multiplexe à agir en caisse (et avec une sacrée efficacité vu l’ampleur de la tâche) note nos numéros de cartes illimitées française, nous délivre nos places, et nous pouvons foncer en salle 3. Au moment je m’assieds dans la salle, à peine le temps de jeter un œil alentour pour voir à quoi ressemble celle-ci que les lumières s’éteignent et Contagion commence. J’ai une pensée pour les dizaines de spectateurs encore en train de faire la queue en caisse alors que toutes les salles lancent leurs films dans le multiplexe.
Je suis bien content d’avoir découvert le film de Steven Soderbergh à Bruxelles plutôt qu’à Paris où je serais peut-être rentré chez moi en métro après. Le film m’aurait certainement rendu un peu parano au milieu d’une foule de gens toussant, éternuant, touchant, avec ces barres grasses et ces poignées à attraper. Le film, récit de l’implacabilité, est une observation quasi clinique de l’expansion d’une contagion à l’échelle globale, la maladie et la mort qui s’étendent vitesse grand V à travers la planète. Cette chronologie inéluctable d’évènements est décrite avec force par Soderbergh dans un style quasi documentaire au risque d’amoindrir l’empathie que l’on aurait pu ressentir pour les nombreux personnages du film. Ceux-ci deviennent les rouages d’un évènement qui les dépasse. C’est tout la force et la limite du film, de laisser ce récit dans un ton clinique. Quand on a Jude Law, Kate Winslet, Marion Cotillard, Laurence Fishburne, Matt Damon et Gwyneth Paltrow devant sa caméra, c’est audacieux.
Je suis sorti du film méfiant de mon camarade éternuant. La salle était tout de même presque vide, tous les spectateurs ayant dû se diriger vers Tintin. En la quittant alors que mes compagnons de route sont allés dire bonjour à la dame pipi (eh oui, une dame pipi aux toilettes du cinéma !), je jette un œil sur ce cinéma. La sortie s’étant effectué par l’entrée de la salle, je peux m’y balader à ma guise. Je vois même que la sortie du cinéma peut également servir d’entrée pour ceux qui auraient envie de pénétrer dans le multiplexe sans payer. Aucune surveillance, et une assurance d’arriver directement au-delà du contrôle des billets. Seule une caméra trône dans cette zone, et s’il y a autant d’employés affectés à la surveillance vidéo qu’il y en a en caisse, on doit pouvoir entrer dans le cinéma en resquillant les doigts dans le nez.
Lorsque mes amis me rejoignent, nous décidons d’aller jeter un œil à la grande salle du ciné. L’un d’eux a entendu dire qu’elle était magnifique, et autant profiter de cette liberté de mouvement pour aller vérifier cela. Après avoir monté deux escalators, nous y pénétrons. La séance de Tintin qui y est programmée n’est pas encore commencée, les spectateurs attendant confortablement installés. La salle est effectivement à couper le souffle. Large, profonde, elle rappelle dans sa forme la grande et belle salle de l’UGC Normandie sur les Champs-Élysées, sans le rideau, mais avec un écran courbe immense sur lequel voir Tintin en 3D doit être absolument stupéfiant. Surtout, les ornements de la salle sautent aux yeux, des murs sculptés offrant à la salle un étonnant cachet vintage et majestueux. Si un jour je repasse par Bruxelles, voir un film dans cette salle me paraît indispensable…