L’abasourdissante décision grecque de faire valider l'accord européen par référendum nous place à un de ces moments historiques : pour le coup, on n'a pas besoin de politiciens nous communiquant que l'accord qu'ils viennent de signer au cœur de l'été est historique alors qu'il a fallu aussitôt mettre l'ouvrage sur le métier pour rafistoler le tissu. Pour le coup, voilà une décision fracassante, à portée historique et européenne. L'Europe, et donc la France, abordent désormais des eaux extrêmement troublées dont on ne sait pas s'il sera possible de les traverser sans heurts. Signalons toutefois la première victime : le mythe de l'Europe unie vient de succomber. Dorénavant, il y aura une Europe à plusieurs vitesses.
1/ La décision de M. Papandréou est une folie. Il est compréhensible qu'il soit déstabilisé et n'ait plus les nerfs d'assumer la tension du pays, à la suite de sa faillite annoncée. On ne saurait négliger, ainsi, les manifestations de mauvaise humeur de la population grecque, surtout en ces jours de fête nationale. Pourtant, si M. Papandréou voulait quitter le pouvoir, il pouvait le faire proprement : poser la question de confiance au parlement, se débrouiller pour ne pas l'obtenir et passer rapidement à des élections, pour assurer une transition organisée, mais seulement grecque. Or, il choisit un référendum qu'il est sûr de perdre, et l'organise en plus fin janvier, dans trois mois ! Sous prétexte de démocratie, c'est l'assassinat d'une certaine solidarité européenne.
2/ Rappelons quelques faits aux révoltés grecs : depuis 1981, des dizaines de milliards d'euro ont été transférés en Grèce pour l'aider à se développer, engloutis comme de l’eau dans le sable. la Grèce a menti sur ses comptes pour entrer dans la zone euro. Les plus riches entrepreneurs du pays, les armateurs, sont exempts d'impôts, selon la constitution. La réforme de la taxe foncière exempte le plus grand propriétaire du pays (40 % des terres), à savoir l'église orthodoxe. Un septième seulement des grecs paye l'impôt. Depuis le début de la crise, il y a un an, tous les paiements se font en liquide. En clair : ce pays a triché, triche encore et en plus crache dans la main de celui qui l'aide à finir ses fins de mois. Je n'ai aucune compréhension pour les Grecs. Ils ne veulent pas des 50 % d'austérité demandés par l’Europe : ils auront 100% d'austérité, sans l'Europe. Ils pourront manifester, alors.
3/ Car le pronostic est à peu près assuré : la Grèce va sortir, très bientôt, de l'Euro.Le découplage entre les 27 et les 17 que j'annonçais la semaine dernière va se creuser. On peut donc pronostiquer une Europe à trois vitesses au moins :
- les pays Européens n'appartenant pas à l'UE : les pays des Balkans, la Norvège, la Suisse, l'Islande. Je ne parle pas des pays des confins (Ukraine Moldavie Biélorussie), encore moins de ceux du Caucase. Pour longtemps dans le voisinage.
- les pays de l'Union Européenne standard : 27 pays, une union douanière. Se posera la question de ce qu'on voudra y faire encore.
- les pays de la zone euro : 17 membres, bientôt 16. En espérant que l'éclatement ne se poursuivra pas.
4/ Il reste qu'on voit poindre un autre découplage : celui entre la France et l'Allemagne. Il faut lire l'article de JP Gougeon dans le Monde : le moteur franco-allemand donne des ratés. Dans les matières stratégiques, égéa l'a noté, qu'il s'agisse de la dispute sur le nucléaire lors du sommet OTAN de Lisbonne ou de l'abstention lors du vote de la 1973 sur la Libye. Mais le mal est plus général, et ne se réduit pas aux initiatives de M. Westewelle. Il y a risque d'un quatrième vitesse, si la France ne fait pas très attention.
5/ Toutefois, raisonnons dans le bon sens : le moteur franco-allemand n'est pas un moteur, malgré l'expression. L'Europe n'est pas le résultat de l'accord franco-allemand, l'Europe est là pour encadrer les relations franco-allemandes qui sont tout sauf naturelles. Voir poindre un dissentiment en Allemagne est très inquiétant.
6/ Le décrochage date de 2003 : vous savez, l'année où l'on se félicitait d'avoir amené l'Allemagne sur nos positions contre l'interventionnisme américain en Irak. Dans le même temps, le gouvernement Schroeder faisait voter les lois Hardt IV. De là date le décrochage économique franco-allemand. Paris est coupable de sa négligence budgétaire depuis trente ans. Depuis 2003 lorsqu'à la première bourrasque, conjointement avec l'Allemagne, on s'en est allé expliquer à Bruxelles qu'on ne respecterait pas le pacte de stabilité. Ou en 2007, quand on a fait de même. Ce manque de sérieux engage toute la classe politique. De ce point de vue-là, nous n'avons pas beaucoup de leçons à donner aux Grecs. Désolé, la rigueur se profile à l'horizon.
7/ Y. Cadiou commente régulièrement mes billets sur le sujet en disant qu'il ne voit pas la crise dans les supermarchés : je crains de devoir lui annoncer qu'il va la voir, très bientôt. En espérant que ce ne sera qu'une crise économique, et pas une violente dépression.
8/ Or, il y a suffisamment de poudrières en Europe pour que les crises sociales servent de boutefeu à des aventures dramatiques. L'Europe n'est plus une évidence. Voilà peut-être la prochaine surprise stratégique....
Ai-je besoin de vous dire mon inquiétude ?
O. Kempf