Tiens, un peu d’imprévu dans la morne décomposition de la sociale-démocrassie européenne : le premier ministre grec vient de se dire que bon, zut, finalement, cet effaçage de la dette, c’est une affaire qui mérite un bon gros référendum des familles. En apprenant la nouvelle, tout le monde a retenu son souffle (12 millisecondes) et a commencé à courir dans tous les sens en hurlant « Ah ne pas paniquer ne pas paniquer ne pas paniquer ! » (pendant 12 autres millisecondes). Ensuite, tout le monde a un peu paniqué.
La situation est maintenant légèrement confuse. Un petit rappel des épisodes passés s’impose.
Comme vous le savez peut-être, il y a maintenant autour d’une centaine d’heures, Sarkozy et Merkel fanfaronnaient après une nuit assez longue et franchement torride passée ensemble, et qui les avait laissés passablement épuisés, le tout sans le moindre commentaire de Carla Bruni. En résumé, l’Europe était sauvée, nos deux dirigeants avaient certainement payé de leur personne, mais ouf, le plus dur était fait : moyennant un assez gros chèque et quelques chiques coupées, on avait évité le méga-choc.
Amputation de 50% de la dette grecque, austérité européenne millimétrée, petits mouvements de bras, tout y était : la crise de la zone euro était en passe de se résorber. Il y avait bien les dettes italiennes qui sentaient un peu du bec, mais après une nuit pareille, on peut comprendre.
Seulement voilà : avec une telle mesure, la Grèce se retrouvait, de facto, transformée en protectorat bruxellois, avec mise sous tutelle plus ou moins explicite. De surcroît, le premier ministre du pays devait à présent expliquer au peuple qu’il fallait se serrer la ceinture. Politiquement, son fauteuil (voire sa tête) était en jeu.
N’oubliez jamais : un politicien aux abois est prêt à tout, absolument tout, pour sauver son épithélium délicat. Papandréou, socialiste décontracté de la dette, n’échappe évidemment pas à l’observation : jouant le peuple contre Bruxelles (et contre ses adversaires politiques), il propose, comme un James Bond de Prisunic, une cascade rocambolesque dont on sait déjà pertinemment qu’elle va lui exploser au museau : référendum.
Mais c’est très malin !
Ce faisant, le Grec applique le principe démocratique réclamé de vive voix par toute l’armée de citoyens responsables, frétillants et propres sur eux. De ce point de vue, il va être extrêmement difficile de lui reprocher son référendum. On pourrait même tenter un double-bingo en demandant qu’un tel référendum soit étendu à l’ensemble du peuple européen qui va devoir faire ses fonds de tiroir pour sortir de ce marécage putride. Amusement garanti lorsqu’on demandera leur avis aux Allemands, par exemple.
Mieux : il est presque sûr que le peuple grec, exaspéré par les mesures (aussi modestes soient-elles) déjà prises, votera contre toute prise en main par Bruxelles. Il semble évident que le premier ministre sera proprement éjecté du pouvoir. Et compte tenu de ce qui va suivre (que je détaille plus loin), on comprendra que Papandréou a tout intérêt à partir proprement. Ce référendum lui fournira une raison en béton armé.
Enfin, ce faisant, le peuple décidera lui-même de la taille et de la couleur du pal qu’il va s’infliger.
Car il ne faut absolument pas se leurrer : ce qui attend le peuple grec n’est pas joli-joli. Mais avec l’onction démocratique, ce sera en tout cas réglo-réglo.
Déjà, on peut noter les éléments suivants.
D’une part, Sarkozy s’est joliment fait empapandréouter, et Merkel avec lui. Les expériences de couples rapprochent, dit-on. À ce rythme, ils vont devenir siamois. Avec cette histoire, les deux dirigeants passent pour des buses de calibre olympique, ce qui est, avouons-le, particulièrement drôle. En effet, que peuvent-ils faire, exactement, mis à part serrer leurs petits poings et dire « Oh mais heu non zut à la fin » ? Jusqu’à preuve du contraire, le peuple grec reste tout de même souverain pour les questions le concernant. Les débats sémantiques qui viseront prochainement à tout faire pour empêcher ce référendum et expliquer pourquoi il ne doit pas avoir lieu promettent d’être extrêmement croustillants.
Du côté grec, la question se résume de toute façon ainsi :
- Soit on ne fait pas cet embêtant référendum, et on se retrouve sous tutelle, avec une rigueur pénible, importante, et une convalescence étalée jusqu’en 2020 au moins. Bonheur sucré d’une stagflation (au mieux) d’une dizaine d’année, avec le piment possible d’une catastrophe en cours de route et l’entraînement de toute l’Europe dans le gouffre.
- Soit on fait le référendum, et on rejette tout le bazar (L’hypothèse que le référendum soit favorable au haircut est au moins aussi amusante, bien que le niveau de probabilité est microscopique). Les Grecs reviennent à la drachme (ou au Zorba, plus créatif), ce qui entraîne une dévaluation massive en quelques semaines, une fuite historique de capitaux grecs hors du pays, une rigueur de folie, un balayage de la sociale démocratie en bonne et due forme, et un retour à des fondamentaux, qui sont au choix une dictature militaire (ils savent faire) ou une remise sur pied d’une économie de marché normale, pas trop corrompue, avec un espoir non nul d’une situation assainie vers 2015 à 2017. Bref : du bien plus violent, mais aussi du plus rapide.
En substance, les Grecs devront choisir de retirer le sparadrap d’un coup sec, ou de l’enlever petit à petit, doucement, sur dix ou quinze ans, avec la probabilité de découvrir une plaie purulente en dessous. Sans compter que le sparadrap pourrait leur rester collé aux doigts un certain temps s’ils passent par la case « Coup d’Etat » … qui n’est pas à exclure : hier, tous les principaux cadres de l’armée grecque ont été, du jour au lendemain, virés pour être remplacés par d’autres.
Mmmh au fait, tout ceci est bel et bien bon, mais a-t-on reparlé des CDS sur les bons grecs ? Oui, vous savez, ces assurances contre un défaut de l’état de rembourser ses prêts … Parce qu’avec le haircut, l’association des assureurs qui vendent ce genre de produits (dans une version très étrange du « Tu veux ou tu veux pas ») avait finalement fait comprendre que le défaut n’était pas acté, ce qui évitait aux banques (américaines pour la plupart) d’avoir à sortir des montagnes de cash pour dédommager ceux qui avaient, justement, souscrits ces CDS.
Autrement dit, jusqu’au 31 octobre, il n’y avait pas eu de défaut grec (mais si, puisqu’on vous le dit) et il n’y avait donc pas lieu de faire marcher les assurances.
Evidemment, si le référendum a lieu, et s’il est négatif, tout ceci devra être remis à plat, avec le risque que ces CDS doivent être payés, et que les banques américaines doivent dépenser alors des fortunes… qu’elles n’ont pas. A côté, la faillite maousse du Primary Dealer MF Global sera un micro-événement.
Tout ceci a un fumet délicat de déroute monumentale, ne trouvez-vous pas ?
Et si l’on tient compte du fait que la BNP rapatrie 30 milliards d’euros de sa filiale Fortis, si l’on factorise les essais calamiteux du FESF de vendre ses bons (5 milliards à 15 ans transformés en 3 milliards à 10 ans pour éviter la déroute) ou de les libeller en Yuan (oui, vous avez bien lu) et les taux sur les bons italiens qui tripotent la stratosphère avec gourmandise, tout ceci prend des proportions épiques qui laissent songeur.
Et puisqu’il faudra bien quelqu’un pour le placer, je terminerai par l’inévitable « Timeo Danaos et dona ferentes ».
Les prochains jours vont être musclés.
A tout hasard, achetez de l’or, du plomb et des conserves.