Si prendre « l'autoroute » pour Mandalay nous a semblé toute une aventure, emprunter les routes secondaires qui mènent au lac Inle relève de l'expédition suicidaire.
Les genoux écrasés par le dossier du siège avant, les pieds sur un sac de riz et une fesse dans le vide dû à l'étroitesse des sièges, une vraie boîte à sardines, même l'odeur s'en rapproche avec la cargaison de sauce de crevettes fermentée que le bus transporte.
3 h : départ
3 h 30 à 4 h 30 : pause café prolongée, pour le chauffeur qui semble en avoir bien besoin.
5 h : arrêt essence et tapotage du moteur pour le bus qui, lui aussi, semble en avoir bien besoin.
6 h : si on a fait trente km, c'est bon, on se demande pourquoi on a dû se lever si tôt et l'odeur commence à être insupportable.
6 h 30 : l'autobus se remplit à un point inimaginable, il y a même des passagers sur le toit et un enfant assoupi sur nos genoux. C'est quand même mieux qu'un coq à l'air menaçant comme celui qui est sur les genoux de notre voisin.
12 h : on stoppe enfin pour manger un peu, peut-être que ça va nous replacer l'estomac. Pas du tout, au menu un curry avec cette sauce à l'insupportable odeur de crevette. On songe à tout laisser tomber, voyager sur le toit, coucher ici même s’il n'y a aucun hôtel, attendre des heures pour un autre moyen de transport, on est prêt à tout sauf quatre heures de plus dans cet enfer.
12 h 45 : tout le monde semble joyeux, ça rigole, personne n'a l'air abattu à l'idée de reprendre la route et ils remontent tous avec entrain à bord. Nous, le teint vert, l'estomac à l'envers, c'est à reculons que l'on s'installe inconfortablement sur notre sac de riz.
La route zigzague, monte à un angle fou et redescend abruptement, il y a tellement de poussière qu'il faut fermer les fenêtres, la température augmente, notre boite à sardines est littéralement en train de cuire à feux doux et l'odeur pouah!!!! À chaque bosse, le coeur nous lève et des bosses, il y en a, un peu comme sur la surface de la lune, mais avec encore plus de cratères.
16 h 30 : après un supplice de plus de treize heures, on arrive enfin au lac tant espéré. On sort presque en courant et on voit le bus quitter avec tellement de joie. À gauche, pas de lac, à droite non plus, on nous a laissés à une demi-heure de notre destination. Pourquoi? Certainement pour la même raison pour laquelle on a dû se lever à trois heures du matin. Notre moral est à zéro, des fois on se demande ce qu'on fait ici quand on pourrait être bien tranquille, écrasés dans notre sofa, la zappette dans une main et un bol de chips dans l'autre.
On choisit un hôtel recommandé par deux amis israéliens, notre meilleure source pour les gites bon marché, le Gipsy Inn. On est accueillis comme un couple royal par le propriétaire et sa femme, ils nous mijotent un festin qui nous fait encore saliver trois semaines plus tard. On placote en buvant du thé et on échange même quelques recettes birmanes que l'on a hâte d'essayer une fois installés en Australie.
Une journée atroce comme il y en a souvent sur les routes des pays en voie de développement. Comme notre mémoire est merveilleusement sélective, une fois confortablement emmitouflés dans notre lit, les images défilent dans notre tête, des paysages magnifiques, un sourire et même le souvenir surréaliste de notre bus bondé à craquer ne semble plus aussi pénible. On rit un bon coup et on s'endort le sourire aux lèvres, tout aussi heureux de voyager qu'il y a 8 mois.