Dans sa nécrologie, du samedi 29 octobre, le New York Times décrivait Niskanen comme un « abrupt économiste libertarien » ; et il était effectivement les trois à la fois. Mais il était aussi beaucoup plus intéressant et admirable que cette description méprisante ne peut l’exprimer.
Bill Niskanen était le genre de personnage qui est extrêmement rare à Washington DC : un homme qui avait mis les principes au-dessus de l’esprit partisan et du gain personnel.
Après avoir étudié sous la coupe de Milton Friedman à l'Université de Chicago, le jeune Niskanen est venu à Washington avec l'administration Kennedy, comme l'un des « petits génies » du secrétaire à la Défense Robert McNamara.
Ce qu’il vit en tant qu’insider au Pentagone le choqua, se rappelait-il. Le président et les hauts responsables de l'exécutif « mentait avec une telle régularité, que quand ils ont finalement atterri sur la lune » Niskanen a été brièvement tenté de se demander si ce n’était pas une mise en scène. « Voilà comment j'ai perdu mes illusions, en 1969. »
Il s’est inspiré de ces expériences pour écrire en 1971 La bureaucratie et le gouvernement représentatif, un ouvrage précurseur en économie des choix publics.
Plus tard, en 1980, Niskanen a retenu l'attention du pays lorsque la Ford Motor Company le congédiait alors qu’il était économiste en chef del’entreprise, parce qu'il s'était opposé à l’appel de Ford pour des quotas d'importation sur les voitures japonaises.
En 1984, après avoir servi quatre ans en tant que membre et président par intérim du Conseil d’Analyse Économique du président Reagan, Niskanen aurait pu prétendre à un poste haut placé dans une grande entreprise ou dans les universités.
Peter Orszag, ancien chef du CAE du président Obama, a été par exemple parachuté à un poste lucratif chez le géant financier Citigroup, qui a bénéficié d’un sauvetage.
Mais faire de l’argent n’attirait pas Niskanen. Au lieu de cela, il rejoint l'Institut CATO, à l’époque un think tank opérant à partir d'une maison de ville sur la colline du Capitole, et dédié, comme Niskanen, « aux principes de la liberté individuelle, du gouvernement limité, de marchés libres et la paix. »
Cela permit de donner une visibilité au CATO, comme l’explique le président du CATO Ed Crane. William « travaillait dans un bureau environ 1/10ème de la taille de son bureau à l'Old Executive Office Building, sans jamais se plaindre. »
En effet, dans une ville pleine de fondus de politiques publiques aux dents longues, William avait « la classe » : c’était un collègue aimable et généreux qui n'a jamais réclamé un quelconque traitement spécial, un inébranlable défenseur de la science économique.
Niskanen commençait un article de 2006 dans le Washingtonian avec : « Pour ceux d'entre vous avec un penchant partisan, j'ai quelques mauvaises nouvelles ». Ce texte soutient « le gouvernement divisé » (les gouvernements à parti unique dépensent trois fois plus vite, selon ses calculs).
Ce genre de « mauvaises nouvelles pour les partisans » a constitué un thème récurrent dans sa carrière iconoclaste. Il ne s'est pas livré aux conservateurs, produisant des données montrant qu’« affamer la bête », l'idée que les réductions d'impôts diminuent la taille de l’État en le privant de revenus, était une sorte de « pensée magique » et qu’il n'y avait en fait pas de substitut au travail acharné de réduction des dépenses.
De même beaucoup au parti républicain n’ont pas spécialement bien accueilli son opposition à la guerre en Irak, émise lors d'un événement au CATO en Décembre 2001 – sans doute la première déclaration publique contre cette imminente débâcle. « Une guerre inutile est une guerre injuste » - et une guerre que nous viendrions à regretter, soutenait-il alors.
Dans la pile des cartes de vœux que William Niskanen a reçues en 2001 pour son 70ème anniversaire, il y avait celle d’un « abrupt économiste non-libertarien », Larry Summers, ancien secrétaire du Trésor et haut conseiller démocrate. Elle était adressée à « William Niskanen, homme le plus honnête à Washington DC ».
C'était très juste.
Et voici la partie où l’on est censé dire quelque chose à l'effet que, « nous ne verrons plus son pareil ». Espérons que si. L’avenir de l'Amérique dépend d’autres esprits libres suivant l’exemple que William Niskanen nous a laissé.
Gene Healy est vice-président au Cato Institute et auteur de « Le Culte de la présidence ».
William Niskanen