Magazine Politique

Edito : Quelle perception François Hollande a-t-il de l’intelligence économique ?

Publié le 02 novembre 2011 par Infoguerre

francois hollande intelligence economique 150x150 Edito : Quelle perception François Hollande a t il de l’intelligence économique ? influence strategieComme ses prédécesseurs, le leader de la gauche française n’a pas utilisé pour l’instant cette expression dans ses discours de campagne. Ni François Mitterrand ne l’avait fait comme Président de la République, ni Lionel Jospin comme Premier Ministre. Si le PS a fait des efforts louables de réflexion sur les questions de la sécurité et les mesures à prendre dans le domaine de la police, il est pour l’instant aphone sur le sujet. Seule la fondation Jean Jaurès a pour l’instant abordé la question dans un des chapitres de son opuscule « Réformer les services de renseignement français » publié en mai 2011. Il existe pourtant au sein du PS des personnes qui essaient de sensibiliser la gauche comme le député du Finistère Jean-Jacques Urvoas, secrétaire national chargé de la sécurité au sein du PS et le jeune et brillant historien Floran Vadillo qui s’était fait connaître par une polémique sur la présidentialisation du renseignement et qui anime aujourd’hui des groupes de travail à ses côtés. Mais leur prise de position ancrée au domaine de la sécurité et du renseignement ne risque-t-elle pas de fausser les termes du débat ?

L’occasion manquée de la gauche au pouvoir
L’intelligence économique est née d’une volonté de hisser l’information au niveau de lecture de la stratégie et de l’analyse des rapports de force dans la compétition économique mondiale. La première à avoir compris cette nécessité fut un Premier Ministre de gauche, Madame Edith Cresson. Ce fut la première dans le monde politique à vouloir donner un sens à l’expression « rendre la France plus offensive » pour maintenir un cap de développement économique à la hauteur de ses problématiques d’emplois, de commerce extérieur, de création d’activités et de dynamisation des territoires. A l’époque, elle prêcha dans le désert et se heurta à un mur au sein du PS. On lui fit même le grief d’oser dialoguer à ce propos avec un ancien militant maoïste. Les chasseurs de « rouges », principalement basés au SGDN savaient au moins jouer leur rôle de chiens de garde, faute d’oser s’interroger sur les vulnérabilités réelles d’un système déjà vacillant sur ses bases économiques. La gauche ne se rendit même pas compte de cette occasion ratée. Elle avait pourtant toute la légitimité pour s’engager dans une voie nouvelle de par des revendications fondamentales sur la défense de l’emploi et la lutte contre le chômage. Au début des années 90, Edith Cresson avait compris que la situation économique de la France était déjà en train de se dégrader de manière inquiétante en particulier dans le domaine des échanges. Pour lutter contre cette tendance, elle voulut lancer une grande réforme structurelle en transformant Bercy en un MITI à la française (le très actif Ministère de l’Industrie et du Commerce du Japon).
Pari insensé que la haute administration de l’époque ne voulut pas relever et qu’elle considérait comme contraire à toutes ses traditions. En dépit de ce tir de barrage, Edith Cresson tenta l’impossible. L’information, autrement dit la démarche d’intelligence économique, devait être au cœur de la redéfinition de notre politique industrielle. Elle passa pour une farfelue. On lui ria au nez. De leur côté, les médias préférèrent s’attarder sur certaines de ses expressions maladroites comme lorsqu’elle compara les Japonais à un peuple de fourmis. C’était tellement plus facile de se moquer ainsi de la première femme Premier Ministre avec l’assentiment silencieux des caciques du PS. Le problème, c’est qu’elle avait raison. Edith Cresson, bien conseillée par Jean-Louis Levet, son chargé de mission à Matignon, avait évité le piège de sombrer dans un discours centré sur la sécurité. Elle pensa l’usage de l’information comme un des leviers majeurs du développement du siècle à venir. Cette orientation est commune à la ligne éditoriale des auteurs du rapport Martre sur l’intelligence économique.

Le piège récurrent du discours centré sur la sécurité
Le mot protection figure bien dans la définition donnée dans le rapport du Plan mais comme un rappel de prudence et non comme l’axe central d’une politique. En France, le monde des actifs et la société civile n’aiment pas se voir asséner le mot sécurité à toutes les sauces dès lors qu’il est associé au monde de l’économie. L’invitation à toujours plus de sécurité ne crée pas l’empathie mais suscite la méfiance (que cherche-t-on à cacher aux salariés, aux médias et aux juges ?), voire la répulsion (le monde éducatif œuvre pour l’épanouissement de l’individu et non pour la surveillance de ses activités). Les plus patriotes s’interrogent enfin sur la finalité même du mot sécurité pour définir le business plan, conquérir des marchés, et anticiper des politiques industrielles. La réponse nous est donnée par le résultat à une autre question : combien de directeurs de la sûreté ou de la sécurité figurent dans les comités exécutifs des grands groupes du CAC 40 ?

Ce constat appelle quelques commentaires.
Le mauvais voisinage entre les termes sécurité et information est propre à la France, à son Histoire et à sa culture. Ce n’est pas le cas des pays anglo-saxons ou même de l’Allemagne où l’expression « protection de l’économie » est associée officiellement avec « la lutte contre le sabotage économique ». Promotionner l’intelligence économique par la dialectique de la sécurité est une erreur car elle fige les comportements et ne permet pas de valoriser l’intelligence économique comme grille de lecture pour aller de l’avant et gagner des marchés hors de France. Ce piège récurrent en termes de langage mais aussi en termes de mode de pensée s’applique aussi au contexte intérieur. A la fin des années 2000, le Préfet Pautrat a eu raison de souligner le besoin de sécuriser les pôles de compétitivité. En revanche, la réflexion sur les industries de proximité non délocalisables et ancrées aux potentialités d’un territoire ne progresse que beaucoup trop lentement. Tout reste à faire dans ce domaine. Et l’intelligence économique est un excellent moyen d’approcher la question en sortant du cadre strictement sécuritaire. La France offensive souhaitée par François Hollande a besoin de points de repère sur ses victoires économiques et aussi sur ses défaites. Les expériences créatives d’emplois locaux en France ne sont pas très visibles par les remontées d’information traditionnelle (médias, CCI, unions patronales, syndicats interprofessionnels). Il est temps d’inventer de nouvelles grilles de lecture qui permettent au politique de pouvoir enfin inscrire à son programme électoral des priorités stratégiques qui ne se limitent pas aux sempiternelles annonces sur la relance de l’activité touristique et à l’implantation d’éoliennes.

L’intelligence économique est une réponse politiquement correcte
La France active a besoin de points de repère pour se mobiliser et aller de l’avant, à l’image de l’industrie française du ski qui exporte dans tous les pays où se développe une activité touristique hivernale de montagne. Les stratégies d’anticipation sont les grandes absentes du débat présidentiel 2012. Et pourtant elles sont positionnées au cœur de notre système industriel (potentialités marchandes des économies d’énergie générées par les innovations du BTP français, appui indispensable aux technologies de l’information développées dans l’hexagone et dont certaines sont plus performantes que Google, mise en exergue de l’expertise internationale d’EDF et d’ERDF dans la gestion des grands réseaux électriques…). Qui va enfin dire aux politiques que ce type de démarche peut leur rapporter des voix… Côté PS, on aimerait bien entendre la parole des sages sur le sujet. Celle d’Edith Cresson par exemple. Côté UMP, il serait temps qu’on lise plus attentivement ce qu’écrit le député du Tarn Bernard Carayon.

Christian Harbulot


Retour à La Une de Logo Paperblog