[France - Précarité] Eva Joly : « Fermons le robinet à SDF »

Publié le 01 novembre 2011 par Yes

Eva Joly (Audrey Cerdan/Rue89)

Aujourd’hui, 1er novembre, ce sont plus de 100 000 ménages menacés de se retrouver à la rue qui trouvent un peu de répit [avec la trève hivernale sur les expulsions de locataires, ndlr]. Tant mieux pour eux.

Mais à compter du 15 mars, les expulsions reprendront avec leur cortège d’huissiers, de policiers, de familles à la rue, d’enfants déscolarisés etc.

A partir du 15 mars, la France fabrique les SDF qui meurent tout au long de l’année, recensés chaque jour dans l’indifférence générale par l’association Les Morts de la rue.

Malgré la promesse de l’ex-ministre du Logement Christine Boutin de mettre un terme il y a deux ans à cette indignité nationale, la réalité est toujours là : les expulsions se multiplient (10 597 en 2009 pour 107 234 décisions de justice) et les familles n’ont droit dans le meilleur des cas qu’à quelques nuitées d’hôtel.

Avant d’avoir à affronter le numéro d’urgence du 115 saturé, les centres d’hébergement précaires et les gymnases charitablement offerts les nuits d’hiver… Avec comme horizon le squat, le camping ou la rue.

Gâchis humain, social et économique

Ouvrons les yeux sur ce gâchis humain, social et économique. Qu’est ce qu’une société où les expulsions manu militari au petit matin augmentent de plus de 80% en dix ans ? Qui accepte un mort de la rue par jour ?

On le sait, il y a très peu de mauvais payeurs, parmi les ménages expulsés, mais essentiellement des « impayés de bonne foi ».

Si les locataires ne payent plus, si les expulsions augmentent, c’est la conséquence de l’extrême fragilité des ménages, simultanément confrontés à la hausse des loyers et à la précarité de leurs contrats de travail.

Autre cause massive d’expulsions locatives : les congés pour vente que les bailleurs donnent à leurs locataires, dans le seul but de revendre leur logement vide, et donc plus cher.

On observe par ailleurs un nombre toujours plus important de propriétaires occupants menacés d’expulsion faute de pouvoir faire face à leurs charges de copropriété, leurs remboursements d’emprunt.

La faute à une flambée des prix de l’énergie qui n’a pas été anticipée et au dogmatisme de « la France des propriétaires », qui a alimenté la bulle immobilière, la rente et le surendettement et capté une grande partie de l’épargne au détriment d’investissements productifs ou innovants.

On est très loin du « modèle allemand », avec ses 40% de propriétaires seulement et son régime locatif protecteur pour les locataires, où la crise du logement est beaucoup moins vive.

Le logement, un droit fondamental pour les moins favorisés

Nous devons changer de logique. Plutôt que d’amener tout le monde vers la propriété individuelle, nous optons pour l’objectif de nous loger tous décemment et à prix abordable.

L’écologie propose ainsi le renversement du paradigme individualiste, qui enferme le logement dans une vision purement financière, pour lui redonner toute sa dimension humaine et sociale.

Le logement doit être considéré comme un droit fondamental pour les moins favorisés, pas comme une source de plus-value pour les plus riches.

Pour un moratoire de trois ans sur les loyers

Une politique du Logement écologiste établira en place un moratoire de trois ans sur les loyers et les expulsions sans relogement. La fiscalité sera refondée pour enrayer la spéculation et partager la rente immobilière.

Pour accélérer la construction massive de logements sociaux accessibles, nous renforcerons la loi SRU et la programmation de logements vraiment sociaux, seule solution pour mettre en œuvre le droit au logement opposable (Dalo).

Dans le privé, pour sécuriser la location, nous mettrons en place une véritable garantie contre les risques locatifs (GRL) obligatoire, qui enraie les discriminations à l’entrée et sécurise les bailleurs en cas d’impayés.

Au-delà, les communautés d’agglomération doivent devenir les autorités organisatrices du logement et donc établir les documents d’urbanisme et délivrer les permis de construire, pour sortir de l’égoïsme communal qui freine la construction et pousse à l’étalement urbain.

Enfin, porte ouverte sur un modèle alternatif, l’habitat participatif, notamment les coopératives d’habitants, sera encouragé, pour inventer un logement qui échappe à la spéculation, qui partage les espaces communs et redonne aux habitants la maîtrise de leur cadre de vie le plus immédiat.

Une bombe sociale à retardement

Car c’est bien cela que nous devons comprendre : l’inaction des pouvoirs publics depuis dix ans a créé une bombe sociale à retardement, ces 100 000 menaces expulsions sont autant de grenades dégoupillées qui minent notre vivre ensemble. Il est temps de mettre à jour un nouveau modèle.