Lecture conseillée : “Gadis Pantai, la fille du rivage” de Pramoedya Ananta Toer
Roman ; 1962 ; 284 pages ; Traduit de l’indonésien par François-René Daillie
Gadis Pantai La Fille du Rivage date de 1962, trois ans avant la prise du pouvoir par Suharto. Dès les premières pages, on comprend que Pram n’est pas un romancier se réfugiant dans une tranquille et hautaine neutralité. Un souffle d’indignation contre les classes dominantes parcourt ce roman sensible et implacable.
L’histoire de cette jeune fille, Gandis Pantai, est en fait celle de sa grand-mère à qui il avait promis d’envoyer un sarong, un pagne en batik, dès qu’il gagnerait sa vie : « Je m’en allai à Jakarta. Elle aussi s’en alla, mais pour toujours. C’était ma grand-mère maternelle. Une personnalité, un caractère. Je l’aimais. Je l’admirais, j’en étais fier. Je lui avais promis un sarong, je lui offre en échange ce livre. » Il nous livre le portrait d’une jeune villageoise au temps où les colons hollandais réprimaient dans le sang la moindre velléité de révolte avec la collaboration des nobles locaux.
Gadis Pantai a eu le malheur d’être remarquée pour sa beauté par un noble, un Bendoro, alors qu’elle n’avait que quatorze ans. Ses parents qui habitent un pauvre village de pêcheurs doivent se résigner à la donner en mariage au Bendoro, qui réside dans une grande maison à la ville et applique les règles d’un Islam rigoureux. L’enfant est terrifiée par cet environnement étouffant : « Avant, elle disait toujours ce qu’elle pensait, ce qui la faisait souffrir ou pleurer, ou clamer la joie de son jeune cœur. A présent elle devait se taire – personne ne désirait entendre sa voix. Elle ne pouvait que chuchoter. Et dans ce lieu de prière, même pour bouger, il lui fallait observer des règles préétablies. »
Elle ne reconnaît plus son propre visage qu’on a fardé : « C’était celui d’une poupée, il n’y avait plus la moindre trace de l’être enfantin qu’elle était alors. L’essence même de l’enfance avait disparu de son regard, et pour toujours. »
La vieille servante qui est constamment sous ses ordres doit la préparer à devenir une première dame accomplie dans toutes les situations. Elle est la seule personne avec qui des échanges restreints et contraints soient possibles. Par ce biais, une éducation sociale tout autre va fleurir en elle. Gadis Pantai n’oublie pas un seul instant son village frappé par la misère et les raz de marée, ses deux frères noyés en pêchant et sa propre enfance où elle étendait les filets de pêche, faisait la cuisine et pilait les crevettes séchées pendant des heures. Son village était aussi un monde impitoyable mais dont elle connaissait les codes.
Elle apprend ce que fut le passé tragique de sa servante. Cette découverte confrontée à sa propre expérience agit progressivement comme un révélateur de ce qu’est l’oppression et ses visages multiples. Elle fortifie son refus de plier devant elle. [source : culture revolution]