Je viens de rencontrer une camionnette avec des gyrophares allumés sur le toit, comme un arbre-de-Noël, avec écrit à l'avant, Convoi. Puis un gros camion transportant une demi-maison préfabriquée suit, puis un autre chargé de l'autre moitié de la maison, et enfin une autre camionnette à gyrophare ferme le convoi.
Sur la route 138, ça fait partie de notre quotidien. Toutes sortes de grosses pièces métalliques sont transportées vers Sept-Îles, Fermont et Havre-Saint-Pierre.
On peut reproduire la même image pour le quai de Baie-Comeau. Les bateaux viennent y transborder des pièces métalliques immenses, qui seront ensuite transportées par la route vers les mêmes destinations.
La Côte-Nord, c'est le Klondike.
Il y a des gisements miniers qui seront exploités pour fournir la Chine et l'Inde en matières premières. Nickel, ilménite, fer, or, tellement de minerais variés que je ne suis plus capable de suivre. Il y a rumeur d'une immense mine qui serait exploitée au nord de Schefferville par les Chinois, du nickel au nord de Baie-Comeau, etc. C'est le Plan Nord. Le gouvernement construira pour 80 milliards d'infrastructures, routes, ponts, voies de chemin de fer. En réalité, avec ce qui se passe dans la construction, on devrait en avoir pour 60 milliards, il y a 20 milliards qui disparaîtra dans les poches des malhonnêtes mafieux, firmes d'ingénierie, entrepreneurs en construction et partis politiques. Ça veut dire que ce territoire sauvage du Québec sera quadrillé de route, de rails et d'immenses trous de mines à ciel ouvert.
Ce boum économique a des conséquences extraordinaires présentement; construction de nouvelles maisons, relance et surtout augmentation des profits des petites et moyennes entreprises, afflux de travailleurs étrangers, disparition du chômage sur la Côte. Augmentation du coût des maisons. L'argent qui entre à pleine pochetée, au rythme des pièces métalliques qui circulent sur la 138.
J'ai soixante ans. Je suis à la retraite. Je suis bien heureux de tout ce qui se passe. C'est bon pour la Côte, bon pour la rétention de la main-d'œuvre spécialisée. Tout cela doit durer une trentaine d'années.
Après.
Ça me fait réfléchir.
Dans trente ans, ça fera déjà un bout que je grignoterai les pissenlits par les racines. Que restera-t-il? Des voies de chemin de fer inutilisées? D’immenses trous grisâtres, remplis de boues stagnantes? Des routes usées et grugées jusqu'à la corde par notre climat aride? De hautes structures métalliques rouillées et fantomatiques sur fond de paysage lunaire? Vivrons-nous d'autres Gagnonville et Schefferville? Quelles compensations aurons-nous reçues pour nos richesses naturelles? Pire, d'après les économistes spécialistes, nos 80 milliards pour les infrastructures ne seront jamais compensés par l'argent que les travailleurs paieront en impôt et redevances.
Après l'excitation de ce boum économique vient l'inquiétude pour les générations futures…
Lo x