Voyeurs s’abstenir est un sacré défi que l’auteur s’est donné. Sa présentation de personnages m’a fait penser à des vases communicants, ou des poupées russes, en tout cas, un procédé à déconseiller à un auteur qui ne maîtrise pas parfaitement les voix narratives.
Une biographie a été écrite sur un homme, Carl Vaillancourt qui, parti de rien (ou seulement de lui !) devient riche, puissant et donc célèbre. Après son décès, la sortie de sa biographie soulève un tollé de réactions chez la population. À tel point que l’auteur de la biographie, enseveli sous une montagne de courrier, décide qu’il y a matière à écrire un second livre, y incluant les lettres les plus percutantes. Plusieurs signataires attaquent le biographe, l’accusent de ne pas avoir dit la vérité, toute la vérité et que, bien entendu, ce sont eux qui la détiennent cette vérité.
Entre chaque missive, l’auteur de la biographie et du roman, commente. Il se défend, acquiesce ou renchérit. Il présente tout d’abord l’auteur de la lettre, et y rajoute son gros grain de sel. Chaque lettre représente la vision d’un proche ou d’un quasi inconnu. Chaque vision l’habille ou le déshabille. Ce personnage se construit sous nos yeux de lecteurs par les visions des gens qui l’ont fréquenté. Et ce richard s’avère plus mystérieux qui n’y parait. Sommes-nous ce que les gens pensent ou projettent sur nous ? Saurons-nous qui il était vraiment ? Qui a la meilleure vision de soi ? Soi, ou l’addition des visions de chacun ?
Je ne vous dis pas que l’auteur répond à ces questions philosophiques ! Pas du tout, en fait. Il a utilisé un procédé littéraire, point. À nous de l’approfondir si ça nous tente, à nous de s’en amuser, si ça nous tente.
J’ai trouvé agréablement ambigüe cette navigation de la sphère fictive à la réelle. Du supposément réel, de vraies lettres écrites par de vrais gens, pourtant de la plus pure fiction, puisque la biographie n’a pas jamais été écrite. Le narrateur est un écrivain décrit par l’écrivain, François Gravel. Le procédé était assez efficace pour qu’il me soit arrivé d’oublier que la biographie était de la pure fabulation. Il y aurait de la téléréalité et de la "littéréalité" !
Ce qui me ramenait le plus souvent sur terre est le doute qu’un tel homme ait pu susciter tant de lettres parfaitement écrites. Quand je dis « parfaitement », même les imparfaites étaient parfaitement écrites (rendues) ! Une prostituée sans éducation ne s’exprimant pas comme un ex-premier ministre.
On apprend aussi à connaître le narrateur (l’auteur des deux livres), un personnage à part entière. L’auteur, le vrai, reste savamment camouflé ! Ce qui ne m’a jamais quitté, et légèrement dérangé, est de continuellement voir Pierre Péladeau en lieu et place de Carl Vaillancourt. Car j’oubliais de vous communiquer une info, pourtant omniprésente au cours du roman, l’homme d’affaires n’est pas que riche et puissant, il est laid. L’énigme semblerait de trouver comment cela se fait qu’un homme aussi laid ait pu obtenir autant de succès chez les femmes les plus exquises.
Allons donc, forçons-nous un peu les méninges, je crois que nous allons finir par trouver pourquoi !
Voyeurs s'abstenir, François Gravel, Éditions Québec-Amérique, 2009, 240 pages,