"Sur les bords ombreux de toutes les routes et dans les faubourgs de tous les villages, dans les vieux bois et les bosquets et sur la cime de toutes les collines, vous découvrirez, si vous voyagez à travers la province de Hondo, certain petit sanctuaire du culte shinto, sur le devant ou sur les côtés duquel des renards de pierre se tiennent assis. Généralement assemblés par paire, ils se font face l'un à l'autre ; très souvent aussi, c'est par dizaines, vingtaines et centaines qu'on les trouve réunis, mais alors de bien moindre dimensions.
Quelquefois, dans les villes les plus importantes de la cour de quelque grand miya, vous voyez accroupis et rangés par milliers autour du temple, une multitude innombrables de renards de toutes tailles, depuis le jouet d'enfant, haut de quelques pouces, jusqu'au colosse dont le piédestal s'élance au dessus de votre tête ...
Ces temples, comme chacun le sait, et ces chapelles, sont dédiés à Inari, le dieu du Riz.
Tous les renards, il y en a bons et de mauvais, sont doués d'une puissance surnaturelle. Les mauvais ont la frayeur de celui d'Inari, qui est un bon renard. Mais le pire d'entre eux est le "Ninko" (ou Hito-Kitsouné) l'Homme-Renard, qui est le renard spécial de la possession démoniaque. De la taille d'une belette et de forme à peu près identique, à l'exception de la queue qui est celle des renards ordinaires, on l'aperçoit rarement ; car il se garde invisible à tous, sauf à ceux auxquels il est attaché. Il aime à vivre dans la demeure des hommes et, nourri par eux, porte bonheur à la maison qui l'abrite. L'eau, par ses soins, ne manquera pas aux rizières ni le riz au pot-au-feu. Mais, malheur à la famille qui l'aurait offensé ... c'est la perte des récoles !
Le renard sauvage (Nogitsouné) n'est pas meilleur. Lui aussi parfois prend possession des hommes, mais c'est plutôt un enchanteur qui préfère user de sorcellerie. Comme l'autre, invisible, il peut revêtir telle forme qui lui plait ; les chiens seuls ont le don de le découvrir ; aussi les redoute-il particulièrement. Toutefois, même en ses métamorphoses, si son "ombre" vient à passer sur les eaux, celles-ci ne réfléchiront que sa forme de renard. Les paysan le tue : mais qui tue un renard court le risque d'être ensorcelé par ceux de son espèce, ou peut-être par le ki, son fantôme. Par contre, celui qui a mangé la chair d'un renard est à jamais préservé de l'enchantement.
Le Nogistsouné, de même que le Ninko, élit domicile dans la maison. Les familles qui les entretiennent n'abritent le plus souvent sous leur toit que la plus petite espèce, mais elles y peuvent, toutes deux, cohabiter occasionnellement. Certains affirment que le renard parvenu à l'âge de cent ans devient alors complètement blanc et prend, alors, rang parmi les Renards d'Inari.
Ces croyances impliquent de nombreuses contradictions. Il s'en glissera plus d'une au cours de cette étude, la superstition du renard étant, à la vérité, d'une définition difficile tant à cause de la confusion d'idées des adeptes mêmes qu'en raison de la la variété des éléments qui l'ont formée. D'origine chinoise, elle s'est bizarrement confondue avec le culte d'une divinité shintoïste, puis modifiée et développée par les concepts bouddhiques de thaumaturgie et de magie.
Quant aux gens du peuple, leur dévotion aux renards semble surtout s'expliquer par la peur : le paysan honore toujours ce qu'il craint."
Ce texte est extrait de l'ouvrage de Lafcadio Hearn, "Le Japon Inconnu". C'est dans ce petit sanctuaire de Matsue, le Jazan-Inari, que Lafcadio Hearn aimait à se recueillir et, sans doute, y a-t-il trouvé l'athmosphère propice à l'inspiration pour ses écrits sur ces cultes et superstitions nippones.
Sincèrement, je me sens toujours mal à l'aise dans ces sanctuaires dédiés à Inari : j'ai eu la même impression, amplifiée d'ailleurs, à Fushimi Inari ... Je confirme, je n'aime pas les kitsouné !
Ceci dit, je continue tout de même la visite, ne serait-ce que pour les adorables lanternes de pierre nichées dans leur écrin d'hortensias ;)
Matsue, le 29 juin 2011