Le Festival de Bayreuth était en panne depuis le mois d'avril. Alors que Wim Wenders avait été pressenti pour mettre en scène le Ring du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, les divergences de points de vue du cinéaste et de la direction du festival n'avaient pu être aplanies, et les deux parties avaient d'un commun accord renoncé au projet de coopération, sans fournir d'ailleurs d'explications détaillées. Il semble que Wim Wenders ait souhaité pouvoir exploiter cinématographiquement ses mises en scène de la tétralogie, et que les négociations n'aient pu aboutir sur ce point, ce qu'on pourra regretter.
Les héritières de Richard Wagner se sont donc mises à la recherche d'un autre metteur en scène pour le Bicentenaire et l'oiseau rare a été déniché. C'est à présent officiel: Katarina Wagner et Eva Wagner-Pasquier ont nommé Frank Castorf codirecteur du Festival de Bayreuth 2013. Le metteur en scène avait été approché fin juillet et la presse avait alors évoqué la possibilité de cette désignation qui, comme d'habitude, ne rencontre pas tous les suffrages. Ainsi le Berliner Zeitung affuble-t-il Castorf de l'étiquette de provocateur, et ce quotidien est loin d'être le seul. Il est vrai que Castorf multiplie les déclarations agressives. Comme il l'a récemment annoncé au Sueddeutsche Zeitung, l'homme, qui est âgé de 60 ans, ne se sent pas partie intégrante de la société allemande qu'il estime par trop malhonnête. Les palabres incessantes de la télévision sur des thèmes toujours identiques l'exaspèrent. La société allemande serait selon Castorf anglo-américanisée, elle est ennuyeuse, stupide et petit-bourgeoise ad nauseam, une insulte à l'intellect. Avec de telles déclarations, qui confirment la réputation sulfureuse d'un metteur en scène dont le travail est déjà souvent critiqué, on peut imaginer que les amateurs de sensationnalisme font déjà leurs choux gras du festival 2013. De la dynamite...
Frank Castorf dirige pour l'instant la Volksbühne am Rosa Luxemburg Platz de Berlin. Le metteur en scène a davantage l'expérience du théâtre que de l'opéra. On lui connaît une mise en scène bâloise de l'Othello de Verdi il y a treize ans, et la mise en scène berlinoise des Maîtres-chanteurs en 2006, une mise en scène plutôt hors normes, puisqu'il l'avait qualifiée de «Dispositif expérimental pour révolutionnaires entre champs de bataille et salles de jeux, salon et prison, subventions et subversion" L'orchestre était composé de deux pianos, d'un keyboard et de cinq instruments à vent. Et dans le livret, Castorf avait inséré des extraits d'un drame révolutionnaire d'Ernst Toller. Pour Castorf, il faut que les textes du passé aient quelque chose à dire sur les hommes d'aujourd'hui. Et l'ironie est une arme qu'il manie bien.
Frank Castorf est bien connu du public munichois: à partir de 1989 ses mises en scène ont été jouées au Prinzregententheater et au Théâtre de la Résidence. Et, coïncidence, hier soir les Munichois ont pu découvrir la première Kasimir und Karoline, une oeuvre d'Ödön von Horváth, au Théâtre de la Résidence.
En France, on a pu voir son travail en 2002 au Théâtre national de Chaillot, avec les Mains sales de Jean-Paul Sartre, en 2010 à l'Odéon, avec une pièce d'Heiner Müller, Die Hamletmaschine, et en 2010 encore, au Théâtre Nanterre-Amandiers avec Nach Moskau ! Nach Moskau!, d'après deux pièces de Tchekov.
Pour se familiariser, avec le metteur en scène, voici une interview sous-titrée en français sur son travail à Nanterre-Amandiers (après la pub...)
Entretien avec Frank Castorf