« En pyjama devant monsieur le juge »

Publié le 31 octobre 2011 par Lana

Mais qui es-tu, toi, pour croire que tu as le droit de t’habiller? Tu vas passer devant le juge, en habit de décideur, à côté des aide-soignants en habits de contrôleurs de tes faits et gestes, mais toi, toi tu seras dans ton uniforme d’hôpital. Tu te prends pour un citoyen comme les autres, sans doute? Tu veux t’habiller, te tenir droit, être toi, être digne et parler d’égal à égal. Mais tu n’es qu’un fou! Un fou à l’hôpital qui plus est! Tu n’as droit à rien et ta parole ne compte pas.

Regardez monsieur le juge comme il est fou, pitoyable dans son misérable pyjama qui a servi à tant d’autres fous avant lui. Vous n’allez quand même pas le croire? Faire semblant de l’écouter, à la limite, et encore ça nous dérange. Pourquoi aurait-il les mêmes droits que nous? Cette misérable âme insensée, qui ne mérite même pas ses propres vêtements, ne mérite quand même pas la considération de la justice. Il est fou. Il ne sait pas, il ne comprend pas, et nous nous savons, alors n’allez pas nous contredire et le regarder comme un homme digne de ce nom.

Oui, moi, moi dans mon pyjama, moi dans ma robe de nuit bleue marquée du mot psychiatrie, vous essayez de m’effacer, de m’annihiler. Je suis une folle et voilà tout. Moi qui pleure dans cette robe de nuit, moi qui veux mes vêtements, parce que je suis quelqu’un, quoique vous en disiez. Oui, vous m’avez réduit à rien, une folle, une malade qui n’a pas droit à la parole, qu’on n’écoute jamais, qu’on ne croit pas, oui en ce moment je ne suis plus rien. Mais je me reléverai, et ce ne sera pas grâce à vous. J’irai dire vos maltraitances et votre mépris. Je le garderai comme une blessure jusqu’à ma mort. Je n’oublierai pas que ceux qui sont là pour m’aider sont ceux qui m’ont anéantie et méprisée, qui m’ont retiré mes vêtements, même plus comme dans les prisons, comme dans les systèmes totalitaires qui veulent faire taire les gens. Vous vivez dans votre monde tellement fou que vous vous aveuglez pour voir votre violence comme des soins, vous écrasez les gens en disant faire leur bien. Oui, vous m’avez jetée à terre, et vous continuez chaque jour à en jetter d’autres à terre, nous qui étions, ou qui sommes encore, plus bas que tout. Notre folie n’est rien à côté de la vôtre. Notre folie nous consumme, notre folie nous essayons d’en sortir, notre folie nous la combattons. La vôtre détruit les gens, la vôtre vous l’aimez, la vôtre vous vous en glorifiez.

En attendant, j’ai la conscience tranquille et je regarde ma folie et la vôtre sans m’aveugler, sans me cacher. Tout ce que je vous souhaite, c’est d’un jour ouvrir les yeux et perdre le sommeil. C’est que tous ces misérables fous en uniformes devenus des êtres humains au même titre que vous hantent vos nuits. Moi, je suis blessée et j’ai perdu confiance en l’être humain par votre faute, mais je peux dormir.

Article de Libération: « En pyjama devant monsieur le juge »

http://www.liberation.fr/c/01012367605-c


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