“Je n’en peux plus”, “on se sent des moins que rien”, “pour être sommaire, c’est vraiment sommaire. On est comme en prison”, “notre place n’est pas ici mais dehors”… “on n’est pas des criminels!”
Voilà ce qui choque, voilà ce qui reste et raisonne à la lecture de cet article paru dans le Monde d’aujourd’hui. Article qui me rappelle un autre papier, paru le 10 février dernier dans le journal Sud-Ouest. Même démarche journalistique, même cadre: les CRA, abréviation pour Centre de Rétention Administrative. On aurait presque envie de dire “Centre de détention”. A une lettre près… si proches… ainsi que le sont les conditions…
Etat des lieux
Bordeaux. Sous-sol du commissariat de Mériadek. Pierre-Marie Lemaire mène l’enquête.
“Il faut prendre l’ascenseur, descendre au premier sous-sol, suivre derrière le policier un couloir aux murs d’un jaune flashy. Une première porte, banale, si ce n’est son fonctionnement sécurisé. Elle ouvre sur un vestibule étroit où le visiteur est invité à se délester de sa carte d’identité et de son téléphone portable. À droite, le local de surveillance et l’infirmerie ; en face, la machine à café et le changeur de monnaie ; à gauche, une lourde grille aux solides barreaux. Cliquètement des clés, grincement de la porte, odeurs de cuisine et de tabac mêlées? Bienvenue au centre de rétention administrative de Bordeaux.”
La France compte aujourd’hui 24 de ces “antichambres de l’expulsion”. Comme le souligne le journaliste, “d’autres sont prévues pour remplir les objectifs gouvernementaux de 28 000 reconduites à la frontière de sans-papiers en 2008″ (aux dernières nouvelles, ce serait 26 000, soit 1000 de plus qu’en 2007).
Mériadek, c’est peut être ce qu’il y a de plus moche à Bordeaux. Du béton, et encore du béton. Le CRA de Bordeaux se situe au sous-sol de l’hôtel de police de Mériadeck: “un bloc de béton qui s’articule en deux secteurs autour d’un puits de jour d’une vingtaine de mètres carrés, seule source de lumière naturelle dans cet espace totalement clos, et d’une cour de ‘promenade’ pour les retenus. Le ciel est par-dessus le grillage qui a été tendu voilà quelques années, après une tentative d’évasion par escalade. Les locaux comportent six chambres, deux salles communes, deux sanitaires, un coin laverie et le bureau de la Cimade , seule association habilitée pour venir en aide aux clandestins, leur trouver un interprète, un avocat?”
Le CRA de Bordeaux, avec ses 24 places, fait partie des des plus modestes…: même “si les retenus peuvent recevoir des visites, si de l’autre côté de la grille les portes restent ouvertes, la promiscuité, les chambres de 14 mètres carrés pour quatre personnes, le dénuement des locaux évoquent plus l’univers pénitentiaire que le club de vacances.”
Vincennes, CRA 1 et CRA 2. 260 personnes en tout.
Comme l’explique Laetitia Van Eeckhout, “à première vue, les bâtiments, l’un datant de 2006, l’autre récemment réhabilité, semblent relativement propres. Ils sont dans l’ensemble bien tenus - si ce n’est ce problème de tuyauterie qui a provoqué ces derniers jours une fuite d’eau dans un des sanitaires et une chambre. Mais les lieux sont froids, déshumanisés : murs carrelés, linos gris au sol… seule la peinture des portes s’alignant le long des couloirs apportent une vague touche de couleur. Les chambres, collectives, sont impersonnelles, équipées de deux ou trois lits (pour certains superposés), d’une table jonchée de restes de pain et de gobelets de café, voire d’une petite étagère sommaire où les étrangers déposent leur “trousse de toilette” : un sac en plastique qui leur a été donné à leur arrivée, doté d’un savon, de papier hygiénique, d’une brosse à dent “non démontable”, d’échantillons de dentifrice et de shampoing. Les fenêtres, sans volets, sont souvent occultées par un drap.
Pour toute distraction, dans une salle commune, un poste de télévision, hurlant à tue-tête, juché et protégé d’un Plexiglas, et deux PlayStation, récemment installées, elles-mêmes encastrés dans un coffre en ferraille. Mêmes les stylos sont interdits, “pour des questions de sécurité”, explique le commandant Bruno Marey, chef des centres de rétention de Paris. Impossible d’écrire. Une sorte d’oisiveté forcée, qui renforce l’insoutenable attente.”
Huis Clos… L’enfer, c’est… C’est qui, c’est quoi déjà?
Bordeaux - Repas barquettes dans la salle commune
“Ce midi-là, ils sont une dizaine à tromper l’ennui. Tous en situation irrégulière et sous le coup d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Miloud et Omar ne sont pas là. Ils passent au même moment devant le juge des libertés et de la détention qui doit statuer sur la demande de prolongation de la rétention déposée par le préfet. Omar sera libéré, mais pas Miloud. L’administration avait réservé son billet pour le Maroc avant même l’audience. Daoued, lui, est encore occupé à sa toilette. Grasse matinée prolongée ? Non. Une douche seulement et deux WC (dont l’un est hors service) sont à la disposition des retenus. « Je me suis levé tard parce que je me suis endormi tard, ajoute le jeune homme. Depuis trois jours que je suis ici, je ne dors plus. Il y en a qui prennent des cachets, mais moi je n’en veux pas”.
Il faut tuer le temps. “Dans la salle commune où trois néons éclairent d’une lumière crue trois tables en bois scellées dans le sol, Jamel attaque le repas livré par une entreprise privée. Au menu, une barquette de semoule, une barquette de pommes de terre apparemment noisette et une barquette dont le contenu s’apparente à un steak haché passablement carbonisé. Au-dessus de sa tête, une télé branchée sur TMC braille une série américaine que personne ne regarde.”
“La salle commune, c’est le dernier salon où l’on cause. (…) Il y a là Husseyn, un Kurde de Turquie qui souffre de troubles graves attestés par un psychiatre. Son avocat a demandé qu’un titre de séjour lui soit accordé pour raisons médicales, mais le tribunal administratif ne l’a pas entendu. Expulsion. Il y a aussi Khalil, un Marocain dont la santé n’est pas plus florissante ; Mohammed, marocain également, dont le père et la s?ur vivent en France, en situation régulière, mais pas lui. “On n’a qu’une seule vie, commente-t-il, fataliste. Soit elle est bonne, soit elle est mauvaise”. La sienne ? “La mienne ? Elle est “space”.” Il s’est fait interpeller alors qu’il “bricolait chez un ami”. “En Italie ou en Espagne, t’as le droit de travailler. Mais pas en France. Alors, certains font des conneries parce qu’il faut bien manger. Moi, je ne demandais qu’à pouvoir vivre ma vie sans emmerder personne.”
Comme beaucoup, il payait sûrement des impôts. Beaucoup ont fui un pays, la misère et les violences d’une communauté, la pauvreté, le désespoir aussi, souvent. “Un centre de rétention est une sorte de loft hors de l’espace et du temps où se croisent des destins tous différents et tous dramatiquement semblables. Ils rêvaient d’une vie meilleure et ne comprennent pas la façon dont ils sont traités.”
Vincennes - la discute à l’infirmerie…
“C’est ici qu’une semaine auparavant, dans la nuit du 11 au 12 février, en représailles à l’injonction qui leur était faite de quitter brutalement à 23 h 30 la salle de télévision, des “retenus” ont mis le feu à des draps, incendiant deux chambres. La veille, encore, plusieurs dizaines ont refusé de se nourrir et ont consigné leurs doléances dans une lettre adressée à la direction de l’établissement et à la préfecture. Ils expliquent leur geste par “le manque de la moindre des choses, la nourriture, les chambres sans chauffage, pas d’eau chaude, l’hygiène, les provocations des forces de l’ordre et, la chose la plus importante, la privation de notre liberté”
Ici, “les “retenus” ont le sentiment d’être réduits à des “numéros”, badgés, surveillés par des caméras, appelés par interphone”. “On se sent des moins que rien”, souligne Fataki, un Congolais. Ils sont nombreux à piétiner devant le sas qui sépare la zone de rétention proprement dite et la zone administrative, à attendre leur tour pour aller à l’infirmerie, dans le bureau de la Cimade, seule association admise, ou dans celui de l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations (Anaem). Une attente qui peut se compter en heures. Mais l’infirmerie et la Cimade sont leurs seules échappatoires, havres de paix où ils savent qu’ils seront écoutés. “Certains demandent à venir pour avoir juste un peu de crème ou un cachet de paracétamol. Mais c’est un prétexte. Ils ont besoin de parler, d’être rassurés”, explique Josiane, l’infirmière du CRA 2.”
Parcours… Le stress, l’angoisse… et la peur.
“Je suis en France depuis onze ans. J’ai été arrêté lundi à la gare du Nord, et ils m’ont emmené ici alors que j’attends une réponse à ma demande de régularisation. En décembre, la préfecture m’a demandé d’apporter des attestations, j’ai un emploi, des fiches de payes, de feuilles d’impôts…”, raconte Cissé, un Malien de 31 ans. Les “pensionnaires” n’ont commis d’autres délits que de séjourner de manière irrégulière sur le territoire national. Et, comme Cissé, la majorité vit, travaille, en France depuis trois, cinq, huit ans… voire plus, et y ont même pour certains une famille (à ce sujet, voir cet article au sujet de la menace d’expulsion d’un avocat malien installé en France depuis 45 ans, sans parler du cas de Va relaté par un ami ici récemment, sans parler non plus des touristes Ivoiriens également expulsés alors qu’ils étaient en règle!).
Alors, s’interrogent-ils, que font-ils ici, pourquoi sont-ils privés de liberté? “Notre place n’est pas ici mais dehors”, insiste Moustafa, Marocain. “Un sentiment d’injustice et d’humiliation qui les poussent à bout, nourrit une souffrance qu’ils retournent bien souvent d’abord contre eux-mêmes. Les cas d’automutilation, de scarification et les tentatives de suicide ne sont pas isolés. Fin janvier, en une semaine, il y en a eu une dizaine“, rappelle la journaliste Laetitia Van Eeckhout.
A bordeaux, ils étaient 650 en 2007, moins qu’en 2006 (695), sachant que les contingents de Roumains et de Bulgares ont depuis intégré l’Union européenne. Ce sont donc les Algériens, Turcs et Marocains qui forment le gros des troupes. “On recense une soixantaine de nationalités différentes, principalement d’Afrique et de l’ancien bloc soviétique“, explique Pierre-Marie Lemaire. Sur deux sans-papiers, l’un est expulsé, l’autre libéré (moyenne nationale).
“Soit sur décision de justice parce que les procédures légales n’ont pas été respectées, soit (le plus souvent) faute pour l’administration d’avoir obtenu des autorités du pays d’origine du retenu le laissez-passer indispensable à son expulsion. Une liberté toute provisoire, puisque le clandestin sort du centre de rétention comme il y était entré : sans papiers. Les plus chanceux obtiennent un titre de séjour provisoire, pour étudier, pour se soigner, ou parce que la préfecture a pris en compte les arguments des associations de soutien aux sans-papiers. Aux clandestins solitaires cueillis au hasard de contrôles de police de plus en plus nombreux s’ajoutent des couples et des familles qui se cachent d’autant moins qu’ils sont là depuis longtemps et parfaitement intégrés”.
“Au bout de quarante-huit heures, même les plus costauds changent physiquement et psychiquement”, soupire une bénévole de la Cimade au journaliste. “Actuellement, la durée maximale de rétention est de trente-deux jours en France. Si elle devait passer à dix-huit mois comme le propose une directive européenne, je n’ose même pas imaginer les conséquences?”
Conclusion…?
Difficile de conclure… Partout en France des cas similaires, une situation qui s’aggrave. Des hommes et des femmes qui se mobilisent (notamment ici ), s’entraident, sont près à se battre en s’usant, se levant tôt le matin pour aller empêcher les expulsions prévues de bonne heure, relayant, se mobilisant, dénonçant…
Voilà ce qui choque, voilà ce qui reste et raisonne à la lecture de ce Monde… Un monde qui a mal…
Bon sang, quand cerneront-ils, quand réagiront-ils, quand adopteront-ils la grille de lecture du XXIième siècle… Nous ne sommes plus aux Lumières, nous sommes bien après! Alors expulsez, dépensez et expulsez encore les petits sans papiers… Tant que de véritables politiques de co-développement n’auront pas été intégrées et mises en oeuvre, tant que les véritables enjeux sous-jacents aux flux migratoires n’auront pas été intégrés dans un système de pensée imprégné des préceptes du développement durable… tant que nous continuerons ainsi, soyez certains que les violences continueront, que les extrémismes se développeront, et que l’humanité sombrera, encore, bientôt… Les lumières sont bien loin vous disais-je… bien loin…