On en parle jusque dans le Monde, le Financial times et le télégramme de Brest (avec une semaine de retard).
Dans le sud de la Chine une petite fille, yue yue, a été renversée sur la route par une voiture. Une caméra de surveillance a filmé (par hasard ? non) les 18 passants coupables qui sont passés juste devant elle sans réagir, avant que la dix-neuvième passante ne s’arrête pour lui porter secours. La petite fille, qui avait été écrasée une seconde fois pendant que les gens passaient à côté d’elle, est morte de ses blessures quelques jours plus tard à l’hopital.
(le shanghai Daily s’est remarquablement contredit sur cette affaire, sans aucun erratum ni excuses d’ailleurs)
La vidéo est disponible sur internet mais je n’ai jamais voulu la regarder et n’en fournirai pas le lien ici.
Cela ressemble fortement à cette scène qui m’avait scandalisé à Pudong. J’avais mis du temps à m’en remettre.
Les exemples sont innombrables et particulièrement choquants pour les français : en Chine on ne porte pas assistance à un inconnu en danger. On le regarde se noyer, se carboniser ou se vider de son sang sans rien faire.
Un détail choquant nous amène naturellement à haïr. Le télégramme de Brest avait des mots très durs pour les chinois. Il aurait pu se souvenir de la phrase de Malraux (“les chinois ? je ne les connais pas tous”)
Je hais la haine anti-chinoise alors j’essaie d’apporter quelques éclairages ou réflexions sur ce fait divers.
Concédons d’abord avec le télégramme de Brest qu’il est inacceptable de ne pas venir au secours d’une personne en train de mourir près de vous. Il y a une “solidarité de l’espèce” qui fait selon moi partie de la nature humaine.
- les chinois sont généralement très peu formés au secourisme de base ; on n’apprend pas (ou plutôt les adultes n’ont pas appris) les gestes élémentaires pour porter secours à quelqu’un.
- la société chinoise est encore très confucéenne ; elle est constituée de cercles concentriques (la famille, le village ou quartier, la ville ou province, la Chine, le “sous le ciel” 天下) avec des niveaux d’implication décroissants selon la taille du cercle. Je suis très lié (et donc redevable) à ma femme et à mon fils, moins à l’oncle Liu, moins à mon voisin de quartier (qui habite mainenant à San Francisco), moins encore à mon camarade de fac il y a 20 ans, moins encore à un chinois vivant à trois mille kilomètres de moi, presque plus du tout à un burkinabé.
Certes cela s’éloigne beaucoup de notre vision plutôt universelle de la politesse et de la compassion (je laisse passer une femme devant moi dans l’ascenseur même si je ne l’ai jamais vue et ne sais pas d’où elle vient), mais il y a aussi du positif à cela : le lien de soutien que l’on voit à l’intérieur d’un cercle est très fort. J’ai été plusieurs fois touché par la politesse exquise (les attentions, les cadeaux par exemple) et aussi par la solidarité (en cas d’épreuve l’ami est là prêt à tout lâcher pour vous aider) de gens qui nous considéraient du même cercle. Pour me résumer : le lien à l’inconnu est très faible, mais le lien au connu est d’autant plus fort.
- après l’incident que j’avais vu (voir le lien plus haut vers le billet en question), j’avais lancé un débat en famille pour regarder si cette différence était humaine ou culturelle. Nous avions longtemps discuté et évoqué le système de justice, qui ici effraie les gens, les inhibe dans leur élan de solidarité. Je retiens de notre débat la conclusion suivante : en Chine on ne peut pas dire que les gens sont des monstres car ils ne viennent pas au secours de leur prochain. Disons plutôt que la culture (en l’occurence un système judiciaire à éviter dans tous les cas, sauf quand on peut en tirer de l’argent) a ici déformé la nature humaine.
- cette affaire Yue Yue a lancé un énorme tollé sur l’internet chinois, avec de nombreux internautes (souvent les jeunes) outrés par ce manque de courage pour aider Yue Yue. Bien sûr, il y avait encore des gens pour commenter “c’est intelligent de passer son chemin, on évite les ennuis comme cela”. Mais j’ai senti une forme de réveil collectif, comme nous l’avions senti en matière d’aide humanitaire lors du tremblement de terre au Sichuan, qui avait pour la première fois donné lieu à une mobilisation exceptionnelle de la population. Bref, la société change me semble-t-il.
Enfin et surtout, je voudrais dire ceci aux lecteurs français qui passent par là. Lors de notre canicule nationale en 2003, beaucoup de personnes âgées ont péri de déshydratation, souvent seules et sans soutien. Ce fait a choqué beaucoup de média et de français, puis on a arrêté d’en reparler. Pour beaucoup de chinois ce fait n’est pas seulement choquant, il est proprement inadmissible, inacceptable. Un sentiment fort proche de celui des français aujourd’hui car en Chine, on ne laisse pas son père mourir seul comme un rat dans son trou. Impensable. Inhumain.
Voilà une humble tentative pour qu’une indignation légitime ne se transforme pas en haine.