D'après Maupassant :
J’ai un amant,
Tu comprends ?
Si tu savais comme nous les femmes, nous cédons,
Comme nous tombons
Et si rapidement !
Il faut un rien, un attendrissement.
Tu sais comme je l’aime
Mon mari. Mais il est toujours le même.
Il ne comprend
Rien aux tendres battements
D’un cœur de femme,
Aux mélancolies qui vous passent dans l’âme.
J’aurais voulu qu’il me saisisse dans ses bras,
Que de ces baisers lents et doux il m’embrassât
Comme autant de confidences muettes.
J’aurais souhaité qu’il eût des faiblesses,
Qu’il eût besoin de moi, de mes caresses
Tout cela est bête.
Mais c’est ainsi que nous sommes.
Pourtant la pensée de tromper mon cher homme
Ne m’a jamais effleurée.
Or un soir, cela s’est opéré
Sans raison,
Sans amour, sans passion,
Sans rien. Il y avait seulement
Un clair de lune sur le lac Léman
Depuis un mois qu’ensemble nous voyagions,
Au pas des quatre chevaux de la diligence
Mon mari, par son indifférence
Éteignait mes exaltations
Paralysait ma joie.
Quand j’admirais les villages, les bois,
Les rivières, les vallées,
Je battais des mains, emballée :
-Comme c’est beau, embrasse-moi !
Mais lui, avec un sourire froid,
Haussait les épaules :
-Ce n’est pas une raison, Paule,
Pour s’embrasser
Chaque fois qu’un paysage vous séduit.
J’en étais glacée
J’avais des bouillonnements de poésie
En moi qu’il empêchait
De s’épancher.
Or un soir, dans un hôtel de Fluelen,
Robert souffrant de migraine
Monta se coucher après diner.
J’allai toute seule me promener
Il faisait une nuit de conte de fées :
Les grandes montagnes coiffées
De neige d’argent,
L’air doux, pénétrant…
Ah ! Comme le cœur est vibrant
En certains moments !
Je m’assis sur l’herbe regardant
Ce grand lac charmant.
Il me venait un insatiable besoin d’amour,
Une révolte contre les mornes atours
Et la platitude de ma vie.
N’aurais-je jamais la bonne fortune
De rêver au bras d’un cher ami
Sur une berge baignée de lune ?
Ne sentirai-je jamais descendre en moi
Ces baisers doux comme la soie
Qu’on échange dans ces nuits
Que Dieu a créées pour les tendresses ?
Je me mis à sangloter
Quand derrière moi, j’entendis un bruit.
Qu’était-ce
Dans cette ombre de soir d’été ?
J’étais éperdue.
Un homme était debout là.
Il me reconnut.
C’était un jeune avocat.
Nous l’avions plusieurs fois croisé.
Ses yeux m’avaient souvent suivie.
J’étais tellement saisie,
Que je ne sus quoi penser.
Tout ce que je ressentais, il le traduisait,
Ce qui me faisait frissonner, il le saisissait
Comme moi,
Mieux que moi.
Et soudain il me dit des vers de Musset.
Je suffoquais d’une émotion embarrassée.
Il me semblait que le lac, la montagne, le chemin
Chantaient de doux refrains
Ineffablement
Et cela se fit je ne sais comment,
Dans une sorte d’hallucination.
Tu vois, bien souvent,
Ce n’est pas un homme que nous aimons,
Mais l’amour. Ce soir-là, c’est le clair de lune
Qui fut mon amant.
Adélaïde de Véthune