clair de lune (1882a)

Publié le 30 octobre 2011 par Dubruel

D'après Maupassant :

J’ai un amant,

Tu comprends ?

Si tu savais comme nous les femmes, nous cédons,

Comme nous tombons

Et si rapidement !

Il faut un rien, un attendrissement.

Tu sais comme je l’aime

Mon mari. Mais il est toujours le même.

Il ne comprend

Rien aux tendres battements

D’un cœur de femme,

Aux mélancolies qui vous passent dans l’âme.

J’aurais voulu qu’il me saisisse dans ses bras,

Que de ces baisers lents et doux il m’embrassât

Comme autant de confidences muettes.

J’aurais souhaité qu’il eût des faiblesses,

Qu’il eût besoin de moi, de mes caresses

Tout cela est bête.

Mais c’est ainsi que nous sommes.

Pourtant la pensée de tromper mon cher homme

Ne m’a jamais effleurée.

Or un soir, cela s’est opéré

Sans raison,

Sans amour, sans passion,

Sans rien. Il y avait seulement

Un clair de lune sur le lac Léman

Depuis un mois qu’ensemble nous voyagions,

Au pas des quatre chevaux de la diligence

Mon mari, par son indifférence

Éteignait mes exaltations

Paralysait ma joie.

Quand j’admirais les villages, les bois,

Les rivières, les vallées,

Je battais des mains, emballée :

-Comme c’est beau, embrasse-moi ! 

Mais lui, avec un sourire froid,

Haussait les épaules :

-Ce n’est pas une raison, Paule,

Pour s’embrasser

Chaque fois qu’un paysage vous séduit.

J’en étais glacée

J’avais des bouillonnements de poésie

En moi qu’il empêchait

De s’épancher.

Or un soir, dans un hôtel de Fluelen,

Robert souffrant de migraine

Monta se coucher après diner.

J’allai toute seule me promener

Il faisait une nuit de conte de fées :

Les grandes montagnes coiffées

De neige d’argent,

L’air doux, pénétrant…

Ah ! Comme le cœur est vibrant

En certains moments !

Je m’assis sur l’herbe regardant

Ce grand lac charmant.

Il me venait un insatiable besoin d’amour,

Une révolte contre les mornes atours


Et la platitude de ma vie.

N’aurais-je jamais la bonne fortune

De rêver au bras d’un cher ami

Sur une berge baignée de lune ?

Ne sentirai-je jamais descendre en moi

Ces baisers doux comme la soie

Qu’on échange dans ces nuits

Que Dieu a créées pour les tendresses ?

Je me mis à sangloter

Quand derrière moi, j’entendis un bruit.

Qu’était-ce

Dans cette ombre de soir d’été ?

J’étais éperdue.

Un homme était debout là.

Il me reconnut.

C’était un jeune avocat.

Nous l’avions plusieurs fois croisé.

Ses yeux m’avaient souvent suivie.

J’étais tellement saisie,

Que je ne sus quoi penser.

Tout ce que je ressentais, il le traduisait,

Ce qui me faisait frissonner, il le saisissait


Comme moi,

Mieux que moi.

Et soudain il me dit des vers de Musset.

Je suffoquais d’une émotion embarrassée.

Il me semblait que le lac, la montagne, le chemin

Chantaient de doux refrains

Ineffablement

Et cela se fit je ne sais comment,

Dans une sorte d’hallucination.

Tu vois, bien souvent,

Ce n’est pas un homme que nous aimons,

Mais l’amour. Ce soir-là, c’est le clair de lune

Qui fut mon amant.

Adélaïde de Véthune