Pourquoi être autonomiste? Quelle idée saugrenue émerge dans nos têtes d'illuminés? Pour les uns ersatz d'indépendantiste, pour les autres - ignares se complaisant dans le cliché - poseurs de bombes, un autonomiste est réputé avoir le cul entre deux chaises. Ne serions-nous que des types qui essayent de concilier chèvre et chou? N'est-ce que cela l'autonomie, un marche-pied vers l'indépendance? Qu'elle est maigre l'imagination humaine! Pour ma part, je soutiens que l'autonomie est un concept bien plus révolutionnaire que l'indépendance, idée somme toute banale qui consiste, dans un monde dirigé par les États, d'avoir le sien propre pour que puisse s'exprimer la voix d'un peuple. Je reviendrai plus tard sur l'idée d'indépendance qui ne doit pas être caricaturée non plus et qui est bien mal acceptée en France, État jacobin par essence.
J'imagine que certains se marrent bien en lisant ces lignes. Les indépendantistes d'abord se disant qu'un parti qui aspire à gouverner ne peut pas être radical, confondant « radicalité » et « désordre », les jacobins ensuite qui disposent de tout l'arsenal médiatique pour dévoyer l'idée d'autonomie, prétextant que nous sommes anti-égalité voire - injure suprême - anti-républicain, confondant qui plus est « république » et « démocratie ».
Pourquoi donc ne pas être indépendantiste? D'abord parce que l'indépendance est un concept identitaire ce que n'est pas l'autonomie ("identitaire" ici ne doit pas être confondu avec le groupuscule raciste: l'indépendance n'est pas un concept raciste). Un indépendantiste souhaite créer un État-Nation. Pour lui, la nation et l'État ne font qu'un. Il ne peut donc supporter l'idée d'un État français, persuadé que la Bretagne est une nation (notez que je ne le nie pas) et que donc la France ne peut se définir comme une nation en intégrant la Bretagne, la Corse, la Catalogne, le Pays basque, l'Alsace, l'Occitanie, la Savoie (…). Au final, les limites territoriales de l'État français sont réduites à peau de chagrin! On m'a déjà reproché un jour de me sentir de plusieurs nations. Et bien oui, pour moi, la Bretagne est une nation... de même que la France, dans son périmètre actuel l'est aussi. Deux nations peuvent coexister sur un même territoire comme deux calques glissés les uns sous (ou sur) les autres. En réalité, on appelle ça une « carte mentale ». Pour certains, le territoire est breton, pour d'autres il est français. Qui détient la Vérité? Ne peut-on appartenir à plusieurs peuples? Quelle loi l'interdit?
Pause anecdote. Je me souviens un jour de décembre il y a quelques années avoir discuté avec Nadine Thouvenin de l'asso « Idées détournées ». Celle-ci m'expliquait qu'ils avaient pour projet de faire des marchés de Noël sur le modèle de « ceux de l'est ». Je ne voyais pas à quels marchés elle faisait allusion et m'imaginais l'Ukraine ou la Roumanie. Quand elle m'a dit « l'Alsace », j'ai compris que ma carte mentale était européenne et que les points cardinaux n'avaient franchement aucun sens s'ils n'étaient suivis d'un point de référence (sommes-nous oueston ou breton?). Quand je dis « Nord », je pense côte nord (Perros Guirec) et pas Lille! Fin de la pause anecdote
L'autonomie donc n'est pas un concept identitaire car il ne repose pas sur une différenciation. L'autonomie est simplement un mode d'organisation de la vie publique, un moyen de rendre plus efficace la Politique en rapprochant la décision du citoyen. On peut donc être tout à fait autonomiste sans se sentir breton! D'ailleurs, j'ai en tête deux jeunes qui sont entrés à l'UDB et qui, malgré le fait qu'ils partageaient toutes nos idées, en sont partis car « ils ne sentaient pas breton ». C'est tout le challenge de l'UDB mod-nevez: conserver son identité bien sûr, mais réussir à garder dans ses rangs des gens qui ne se sentent pas breton.
Alors me direz-vous, pourquoi, si l'autonomie n'est pas un concept identitaire, n'y-a-t-il pas de mouvements autonomistes (ni d'ailleurs indépendantistes) dans le Béarn ou en Sologne? Bonne question. Avez-vous remarqué qu'en Europe de l'Ouest, les mouvements comme les nôtres sont situés aux périphéries de la capitale dite « nationale »? Bretagne, Corse, Alsace, Ipparalde, Catalogne nord et dans une moindre mesure Occitanie, mais aussi Euskadi, Galice, Catalogne sud, Pays de Galles, Ecosse, Cornouaille... Ailleurs, ç'aurait pu être un relatif isolement (la Kabylie ou le Kurdistan sont des peuples de montagne par exemple). Bref, en situation de périphérie (terrestre) ou de relatif isolement, ces territoires ont été plus épargnés par la centralisation. Disons moins soumis à l'attraction parisienne si bien que l'identité du pays a perduré et s'est aujourd'hui affirmée. Le fait que nous nous disions « périphériques » d'ailleurs, est quelque chose d'assez nouveau. Il est révélateur d'une pensée qui ne parvient pas à s'extraire d'un schéma hexagonal, une pensée qui affirme que Paris est le centre (même si elle critique ce fait). C'est pourtant nous le centre. « Nous ne sommes pas la province » écrivais-je il y a quelques années sur ce même blog. D'un point de vue maritime, nous ne sommes pas périphériques, nous sommes au contraire un véritable carrefour (inexploité soi-dit en passant).
Paradoxalement, contrairement à ce que j'ai affirmé plus haut, c'est pour échapper à l'uniformisation culturelle que ce sont créés les partis autonomistes. Pourquoi? Parce que l'autonomie permet de réduire l'influence politique d'une capitale tentaculaire, de réfléchir par soi-même plutôt que de penser machinalement. Autonomie, autonomos, est la capacité pour une personne ou un groupe d'avoir ses propres lois. Bien évidemment, le groupe doit avoir à l'esprit de vivre en société. Mais d'une certaine façon, ce qui est plus révolutionnaire dans l'autonomie que dans l'indépendance (on arrive au cœur du sujet), c'est cette idée que l'autonomie est une forme d'autogestion. Pour une société donnée, c'est s'émanciper d'un État qui décide à la place du citoyen et qui travaille non pas au bien-être d'autrui, mais à justifier son existence. Le communisme et le capitalisme se sont servis de l'Etat pour imposer leur idéal et ce, à n'importe quel prix, au détriment des peuples. L'État rend dépendant! Pourquoi donc en vouloir un de taille réduite?
A ce stade de l'argumentaire, il est nécessaire de rappeler qu'il existe une distinction entre « Etat » et « service public ». Un service public n'est pas nécessairement dispensé par l'État bien qu'à ce jour, ce que j'affirme n'existe pas. Et pourtant, ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable de théoriser le « post-étatisme ». Le bilan des Etats-nation est-il si folichon pour vouloir le conserver? Je ne suis pas certain d'avoir les capacités de définir seul ce concept que j'appelle de mes vœux, mais l'important n'est-il pas d'emprunter le chemin. Entre l'Idéal et la Réalité, il y a le militantisme!
L'autonomie n'existe qu'en complémentarité de l'Europe et, plus généralement, d'une gouvernance mondiale. Sans Europe, sans idée de dépassement de l'État-Nation, l'autonomie n'a pas vraiment lieu d'être à vrai dire. L'autonomie s'inscrit dans le principe de subsidiarité. A chaque échelon, sa capacité d'action. Je n'ai jamais été partisan de la gestion exogène, mais plutôt d'un aller-retour entre le local et le global. Or, en France, c'est l'État qui fait absolument tout. Et qu'on ne me parle pas de la décentralisation, d'un pseudo-régionalisme qui équivaut ni plus ni moins à faire faire par les Régions (administratives) ce que décide l'État! Comme le dit si bien Christian Guyonvarc'h, nos Régions ressemblent davantage à des chambres d'enregistrement qu'à de véritables gouvernement. Pourtant, il y a fort à parier que nous ferions mieux que l'État dans bien des domaines.
L'idéal politique, n'est-ce pas de donner aux citoyens des outils pour comprendre le monde par eux-mêmes? Comprenez moi bien, je ne dis pas qu'un parti politique ne sert à rien puisqu'il représente pour moi un projet de société, mais en aucun cas, un parti ne doit gouverner pour dire ce qu'il fautfaire. Le paternalisme a vécu et il convient au contraire de donner des clefs de compréhension, d'élever l'intelligence collective afin d'améliorer le sort de cette planète tant socialement qu'écologiquement parlant. Au final, n'est-ce pas dans un sens l'idée anarchiste? Celle qui consiste non pas à refuser l'ordre comme il est couramment admis, mais à refuser l'autorité? Un homme est capable de réfléchir sans qu'on lui donne des coups de bâton. Pour cela, il doit être débarrassé de ce qui entrave l'élévation intellectuelle à savoir « le pain et les jeux » distribué par l'État pour endormir les consciences.
Vous riez? Vous trouvez sans doute que j'exagère? Mais tous ces citoyens, éternels mécontents, connaissent-ils les institutions qui régissent leur sacro-sainte République? Quand ils raillent les autonomistes, c'est la plupart du temps parce qu'ils raillent ce qui est différent d'eux, ce qu'ils ne comprennent pas. Bien peu tentent de comprendre notre point de vue. La curiosité est un défaut qui me plait à moi!
Notre point de vue est pourtant assez simple. Il part d'un principe de réalité qui constate que l'égalité que proclame la devise française est une utopie et que l'organisation et le fonctionnement actuel de l'État ne peut y mener. De même, la liberté ne peut être atteinte dans un État qui fait à la place de ses « administrés ». L'État Providence est sécurisant, il est aussi aliénant. Il faut donc trouver autre chose car l'État ne remplit plus le rôle qu'il parvenait à remplir aux 19ème et 20ème siècle. Le tout est de trouver un « modèle » territorial qui assure le bien-être de la population sans le contraindre de trop. Pas évident. L'autonomie est une première étape.
L'autonomie est une des formes du fédéralisme. Comme le dit la fédération Régions et Peuples solidairesà laquelle appartient l'UDB, « l'autonomie, c'est le fédéralisme différencié » autrement dit, c'est une forme de fédéralisme qui ne donne pas les mêmes prérogatives à tous les territoires. En fonction de la demande, le territoire se saisit de compétences nouvelles. On avance au rythme des gens. Cependant, je me méfie de la notion de « fédéralisme » en France depuis que j'ai lu il y a peu quelques articles où les journalistes certifiaient que la France était plus fédéraliste que l'Allemagne parce que l'Allemagne jouait le jeu d'une Europe politique et que la France souhaitait une Europe des États. Le fédéralisme à la française, c'est l'État! On croit rêver. Mais cela s'explique par le fait que le fédéralisme est une organisation de l'État quand l'autonomie est endogène, elle est une émanation non pas d'un État, mais d'un peuple. L'autonomie n'est pas propre au peuple breton, mais à tous les peuples qui désirent prendre en main leur vie et ne pas se faire dicter la loi par une autorité qui se fout complètement d'eux.
Selon nous, l'autonomie permet de libérer les initiatives, de gérer au plus près les problèmes et d'être plus à l'écoute des besoins des citoyens. En Bretagne comme en Kabylie!
Allez hop, le débat est ouvert. Il n'y a qu'en échangeant qu'on perfectionne sa pensée!