La partie de ping pong est désormais engagée entre François Hollande et Nicolas Sarkozy. Invité vendredi soir du journal télévisé de France 2, le candidat socialiste aux élections présidentielles a ouvertement critiqué le plan de sauvetage de la zone euro. Le député de Corrèze dénonce une double dépendance à l’égard de l’Allemagne et de la Chine.
En réponse à la droite qui affirme qu’il n’a pas la carrure d’un homme d’Etat, François Hollande répond qu’il aura "à promouvoir dans les mois et les années à venir une nouvelle donne européenne". En attendant, il prend note du bricolage franco-allemand : "Il fallait un accord mais il aurait pu être plus ample, il fallait que le fonds de solidarité soit adossé à la banque européenne pour qu'il puisse être alimenté ou qu'il puisse être suffisamment doté".
Au-delà du fait que la solution retenue est celle imposée par les Allemands, François Hollande estime que le grand bénéficiaire de cet accord est Pékin qui apparaît désormais comme le sauveur de la zone euro ce qui lui permettra de s’exonérer de toute contrepartie notamment sur la question de la valeur de la monnaie chinoise fixée unilatéralement par Pékin mais aussi sur les échanges commerciaux ou les contraintes en matière environnementale.
De fait le reste du monde ne pouvait se résoudre à regarder s’effondrer la première puissance commerciale mondiale, synonyme de débouché essentiel pour leurs propres produits. Ce faisant la Chine marque des points face aux USA dans la bataille qui les oppose en termes de sphère d’influence. Après avoir étendu son empreinte en Afrique Pékin tente de se glisser en Europe par une politique d’investissements massifs et stratégiques.
Autre intérêt concordant pour l’Empire du milieu, garantir ses avoirs en obligations libellés en euro et ainsi conforter une monnaie refuge alternative au dollar. La Chine en effet, deuxième économie mondiale, dispose d'un énorme matelas de réserves et détient déjà de la dette européenne.
Certes à ce jour, rien n’est fait. Pékin serait prêt à abonder le FESF, mais aucun responsable chinois n'a pour l'instant confirmé cette information. Citant une source proche du gouvernement chinois, le Financial Times indiquait vendredi que "La Chine pourrait être désireuse de contribuer entre 50 et 100 milliards de dollars au FESF ou à un fonds nouveau monté sous sa houlette en collaboration avec le FMI". Parallèlement à leur stratégie de cheval de Troie en Europe, les chinois tentent de prendre la main sur le FMI totalement verrouillé par les Etats-Unis.
Sur la base de ces éléments, François Hollande estime que la plan de sauvetage adopté créé une "dépendance de fait qui traduit un aveu de faiblesse". "L'annonce de la participation de grands États extérieurs à l'Europe, dans la mise en œuvre de ce fonds, est profondément troublante", estime-t-il avant d’ajouter "Peut-on imaginer que si la Chine, par ce biais, venait au secours de la zone euro, elle le ferait sans aucune contrepartie ?"
Les craintes du leader socialiste sont partagées par Daniel Cohn-Bendit. L'eurodéputé EELV a qualifié d'"aberration chinoise" l'accord de Bruxelles. C'est "ridicule" que la zone euro ait "choisi de se livrer pieds et poings liés aux pays émergents", a lancé le coprésident du groupe écologiste au Parlement européen avant d’ajouter : "Vous voyez les Chinois vous donner de l'argent simplement parce que vous êtes sympa ?" C'est "une mauvaise solution, politiquement dangereuse", choisie "parce qu'on ne veut pas faire ce pas" vers la fédéralisation de l'Europe.
L’historien et politologue britannique Timothy Garton Ash dresse un constat alarmiste sur la pieuvre chinoise. "Ce n’est pas faire preuve de trop de cynisme que de supposer que la Chine se constitue une sorte de lobby au sein des structures décisionnelles de l’Union, où les Etats les plus petits ont, du moins en principe, autant de poids que les plus grands. Disposant des plus grandes réserves de devises étrangères de la planète – soit, actuellement, environ 3 000 milliards d’euros – , la Chine pourrait racheter la moitié des actifs publics grecs privatisables d’un claquement de doigt. Les Grecs devraient-ils se méfier de ces cadeaux chinois ? Ma foi, à cheval offert, on ne regarde pas les dents."
Et l’universitaire de rappeler qu’une étude qui devrait bientôt être publiée par le Conseil européen des relations étrangères (ECFR) estime que 40 % des investissements effectués par la Chine dans l’UE sont à destination du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie, de la Grèce et de l’Europe orientale.
Comme souvent, David Desgouilles sur Causeur.fr pose bien la problématique. "En acceptant que la Chine vienne aider financièrement au sauvetage de l’euro, les dirigeants européens semblent donc bien atteints du syndrome du Colonel Nicholson. L’euro, notre pont de la rivière Kwaï moderne, était présenté comme l’instrument de puissance permettant de peser face aux autres géants, au premier rang desquels la Chine. Combien de fois nous a t-on asséné : « avec ses petits bras et ses petits francs, comment ferait la France ? ». Escroquerie désormais prouvée aux yeux de tous. La Chine est tellement heureuse de l’existence de l’euro, et notamment de la sous-évaluation du yuan par rapport à lui, qu’elle vient, sans hésiter, à son secours". (…) "Envolées, les possibilités de protection aux frontières européennes, la démondialisation de Montebourg, le juste-échange du PS, et la fameuse taxe carbone aux frontières européennes, que le Président souhaitait lui-même mettre en place. Imaginer que le PC chinois apporte son aide sans contrepartie tient davantage de l’esprit de Oui-Oui chauffeur de taxi que de la haute géopolitique. Cette trahison est double : non seulement les dirigeants européens actuels se lient eux-mêmes les mains, mais ils lient par avance celles de leurs successeurs". Tout est dit.