79% des Français estimaient dans un sondage récent (IFOP / JDD) que les primaires du PS avaient été une bonne chose tandis que son vainqueur, François Hollande, s’envole aujourd’hui dans les intentions de vote, réalisant entre 35% et 39% au premier tour dans les sondages sortis depuis l’issue du scrutin (1 – 2 – 3 – 4). Faut-il en déduire que le député de la Corrèze aurait déjà un pied à l’Élysée ? Le raisonnement est bien sûr simpliste, l’ancien premier secrétaire du PS semblant même être aujourd’hui le premier à calmer les ardeurs de ses alliés les plus enthousiastes. Que faut-il alors penser de l’apport du processus des primaires pour la campagne socialiste à venir ?
Des primaires réussies mais qui ne règlent pas tout
Avec 2,66 millions de votants au premier tour et 2,88 au second tour, il est difficile de contester au Parti Socialiste la réussite de ces primaires, d’autant plus que le parti de Solferino a essuyé les plâtres pour l’ensemble des formations politiques françaises : 61% des sympathisants de droite se disent ainsi favorables à l’organisation de primaires ouvertes à l’UMP pour l’élection présidentielle de 2017 (CSA / BFM TV / RMC / 20 Minutes), l’exercice semblant donc s’imposer comme un futur passage obligé pour les aspirants partis de gouvernement. La bataille de l’image est d’ailleurs gagnée sur tous les plans puisque, à l’opposé de ce que l’on constatait avant le vote des sympathisants, les Français considèrent également en majorité que le Parti Socialiste sort rassemblé et renforcé de ces primaires (59%, contre seulement 35% en septembre), seuls 25% l’estimant divisé et affaibli (contre 46% en septembre).
Ce succès de participation et d’image ne doit cependant pas nous empêcher de nous interroger sur le corps électoral de ce scrutin. On a entendu ici et là quelques voix s’élever pour déplorer la faible participation des quartiers populaires aux deux tours, qu’en est-il alors ? La réponse n’est pas aussi aisée que pour une élection nationale classique où les sondages en sortie d’urne nous permettent de savoir précisément qui a voté et pour qui. Le nombre de votants reste ainsi trop faible au niveau national pour mener une enquête réellement représentative. Au-delà de la simple intuition et des remontées parcellaires de terrain, on peut cependant comparer les résultats disponibles par département avec la structure démographique et électorale de ceux-ci pour infirmer ou confirmer l’hypothèse avancée plus haut.
Une lecture approfondie des résultats par département* semble alors nous indiquer que la mobilisation électorale, aussi importante soit-elle, a été avant tout forte chez des catégories de population traditionnellement bien insérées socialement pour qui le vote est un acte civique fort. Si l’on prend ainsi les 5 départements où la proportion de cadres est la plus élevée (Paris, Hauts-de-Seine, Yvelines, Haute-Garonne et Rhône), la participation au second tour monte en effet à 5,7% de la population, contre 4,5% en moyenne. Même chose avec les 5 départements comptant le plus de détenteurs d’un diplôme supérieur à bac+2 : 5,8% de participation en moyenne. Autre phénomène intéressant, la carte de la participation aux primaires recoupe en partie la carte des électeurs de Ségolène Royal en premier tour en 2007 : les 20 départements ayant le plus voté pour elle comptent ainsi en moyenne 6% de participation, contre 4% par exemple dans les 20 ayant le plus voté pour Nicolas Sarkozy.
Les citoyens habituellement démobilisés ont eux apparemment moins été voter aux primaires. La carte de la participation à celles-ci ressemble ainsi beaucoup à celle de la participation au premier tour de la présidentielle de 2007. Les 10 départements où l’on a le moins voté en 2007 connaissent ainsi une participation de seulement 3,4%, même le Nord, pourtant a priori acquis à Martine Aubry, n’ayant été voter qu’à 4,2%, soit moins que la moyenne nationale. Même phénomène quand on isole les 5 départements à plus forte proportion ouvrière (Haute-Marne, Vendée, Mayenne, Vosges et Orne) : 3,3% de participation, dont seulement 2,6% dans la Haute-Marne, territoire comptant la plus forte proportion d’ouvriers en France. Cela voudrait-il alors dire que les primaires socialistes n’ont touché que le cœur de cible du PS, c’est-à-dire les classes moyennes voire aisées, diplômés et souvent salariés du secteur public ? Cela serait tout aussi réducteur, l’ampleur de la mobilisation impliquant forcément que la plupart des catégories sociales ont été touchées, quoiqu’inégalement. La faible mobilisation des catégories populaires n’en reste pas moins un problème récurrent du PS, au moins depuis 2002, qui devra forcément être soulevé lors de la campagne de François Hollande.
Un candidat légitime …
Face à cette difficulté, le PS peut au moins se targuer d’avoir pour 2012 un candidat légitime. La carte des résultats nous apprend ainsi que la victoire de François Hollande a finalement été beaucoup plus homogène que le camp de Martine Aubry ne l’avait espéré avant le second tour. Cette dernière ne l’a en effet emporté que dans 5 départements, dont une victoire peu nette à Paris (50,25%) et deux victoires largement attendues dans le Nord et le Pas-de-Calais, tandis que tous les autres départements ont accordé leur préférence à l’ancien premier secrétaire.
Plus intéressant encore, la hausse de la participation entre les deux tours n’a pas joué pour Martine Aubry comme son camp l’avait escompté : François Hollande réalise ainsi un score moyen de 59,5% dans les 10 départements où l’on a le plus voté, en excluant la Corrèze pour ne pas biaiser les résultats. Il réalise même de bons scores dans des départements désindustrialisés de l’Est (Meuse, Moselle, Ardennes, Meurthe-et-Moselle) pourtant a priori plus favorables à Martine Aubry ou Arnaud Montebourg, deux candidats étiquetés plus à gauche. A propos du député de Saône-et-Loire on peine d’ailleurs à vraiment qualifier son électorat tant ses scores sont finalement assez homogènes sur le territoire et pas tellement plus hauts dans les régions les plus industrielles et ouvrières. On ne trouve d’ailleurs pas de corrélation entre les départements ayant le plus voté Olivier Besancenot en 2007 et le vote pour Arnaud Montebourg : il y a peut-être aussi là une explication du ralliement apparent de nombreux électeurs de celui-ci à François Hollande, ceux-ci n’étant peut-être pas si à gauche de la gauche qu’on a pu le croire.
… mais face à des choix
Si François Hollande sort donc renforcé des primaires, il n’en est pas moins aujourd’hui face à un exercice radicalement différent. Alors que les primaires ont marqué un temps de rassemblement interne autour d’un programme globalement accepté par tous les candidats, François Hollande doit aujourd’hui s’adresser à tous les Français et faire des choix stratégiques dans l’optique de la présidentielle. Comme tout candidat du Parti Socialiste, il est face au dilemme éternel d’un parti de gauche voulant gouverner : rassembler à gauche ou mordre au centre. Un défi d’autant plus important que le miroir des sondages est aujourd’hui très aveuglant et reflète plus un état de grâce post-primaires qu’un rapport de force électoral.
Les intentions de vote qu’il recueille en effet depuis son élection (35% à 39% au premier tour, 60% à 64% au second tour) nous renseignent en fait sur deux points. D’une part, il rassemble aujourd’hui très largement l’électorat de gauche, la gauche radicale, l’extrême-gauche et les Verts ne réalisant en tout que 10 à 12% des intentions de vote. Un score peut-être suffisant pour un Jean-Luc Mélenchon chargé de sauver les élus du PC aux législatives (entre 5 et 6,5%) mais beaucoup plus gênant pour Eva Joly (entre 3 et 5%) à l’heure de négocier programme et circonscriptions législatives, tandis que la visibilité de l’extrême-gauche est quasi nulle depuis le retrait d’Olivier Besancenot.
D’autre part, il bénéficie pour l’instant à plein du rejet de l’action de Nicolas Sarkozy par la majorité des Français. Ce dernier, bloqué entre 23% et 25% des intentions de vote, n’arrive pour l’instant pas à dépasser le seuil de son électorat traditionnel et voit au contraire François Hollande récupérer des intentions de vote au centre, là où il voudrait lui aussi grignoter. Le retrait de Jean-Louis Borloo n’a par exemple pas eu pour l’instant d’effet positif considérable sur les scores du Président de la République. Ce rejet se matérialise ensuite presque mathématiquement au second tour où Nicolas Sarkozy réalise entre 36% et 40% des intentions de vote, ce qui témoigne de cette incapacité à rassembler suffisamment au-delà de l’électorat UMP. Les reports de voix sont en effet cruels : alors que François Hollande bénéficie de reports de voix quasi unanimes de la gauche radicale et des écologistes, Nicolas Sarkozy ne récupère lui aujourd’hui qu’environ un tiers des électeurs de François Bayrou et à peu près la moitié de ceux de Marine Le Pen.
Quelle programme et quelle stratégie pour 2012 ?
Ces excellents reports de voix, même dans des électorats a priori peu favorables au PS, sont en réalité autant un défi pour François Hollande que pour Nicolas Sarkozy. Comment concilier en effet dans une campagne, et surtout dans un programme, les attentes des électeurs de gauche radicale, écologistes, centristes et même frontistes ? Le député de la Corrèze n’a certes pas besoin de faire 60% au second tour pour être élu mais la question de son orientation politique va se poser de plus en plus fortement à mesure que la campagne se durcira et que les clivages politiques réapparaîtront.
François Hollande avait répondu à une Martine Aubry le trouvant trop mesuré qu’il était clairement de gauche. C’est pourtant contradictoire avec la vision qu’ont plus généralement les Français de son projet pour 2012 : 65% affirmaient ainsi dans le sondage CSA / BFM TV / RMC / 20 Minutes déjà cité avoir l’impression que le projet présidentiel que portera François Hollande est plutôt de centre-gauche, seuls 19% estimant qu’il est vraiment à gauche. A-t-il alors intérêt à profiter de cette image « centro-compatible » en faisant le pari que l’anti-sarkozysme et la peur d’un nouveau 21 avril suffiront à le porter à l’Elysée ? Ou doit-il au contraire rassembler à gauche en espérant que l’électorat centriste ne suivra pas majoritairement Nicolas Sarkozy au second tour comme il l’avait fait en 2007 ?
La réponse à ces questions dépendra en fait beaucoup de son positionnement dans la bataille de la crédibilité face à la crise qui devrait être le fil rouge de cette campagne. Un sondage Viavoice / Libération publié ce mois-ci nous indiquait que les Français lui faisaient majoritairement confiance face à Nicolas Sarkozy pour améliorer la situation financière de la France : 48% contre 33%, 19% ne choisissant ni l’un ni l’autre. Nul doute que c’est sur ce point qu’il devra construire son image de présidentiable, l’UMP ayant déjà commencé à attaquer sa prétendue inexpérience et son manque apparent de crédibilité face à la crise économique. La guerre gauche / droite aura donc apparemment bien lieu : reste à François Hollande à trouver et garder une ligne idéologique claire pour espérer profiter jusqu’au bout du prestige de son investiture par presque 3 millions de Français.
* Tous les chiffres donnés sont issus des données sur les primaires collectées sur franceelectorale.com et des données disponibles sur le site de l’INSEE (insee.fr)