Le « petit garçon », comme l'avait qualifié le journaliste Poivre d'Arvoir en 2007, était de retour. Certes, il maîtrise mieux ses nerfs mais l'impatience et le narcissisme sont intactes. Ces derniers jours, il était enragé d'être incompris.
Nicolas Sarkozy avait besoin de nous montrer qu'il était le Boss, le Patron, le Capitaine. Cette semaine, la 234ème depuis son élection à l'Elysée, fut exemplaire de cette tentative de reconquête.
Le spectacle fut au rendez-vous, avec un sommet de crise et forcément nocturne, puis de la pédagogie télévisée sur-mesure le lendemain.
Nous n'avons rien compris. Sarkozy n'est pas candidat.
Nicolas Sarkozy est évidemment candidat à sa réélection. Il n'ose pas nous le dire. Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel serait obligé de comptabiliser ses prises de paroles dans le quota radiotélévisé de l'UMP. Hypocrite jusqu'en février prochain, notre Monarque laisse donc ses sbires s'exprimer. En petit comité, il peaufine ses arguments contre le candidat socialiste. « Il n'y a pas de France de Hollande (sic), alors qu'il y avait une
France d'Aubry, un peu aigrie, revendicative, fonctionnarisée » aurait-il déclaré lundi dernier. Il a même « sa campagne dans la tête », « comme Balzac, qui préparait le plan détaillé de ses romans avant d'écrire ». Ses conseillers invoquent régulièrement l'exemple de François Mitterrand en 1988, entré tardivement en campagne. On commande aussi régulièrement des sondages, comme ce dernier, « qualitatif »,
sur comment mieux comprendre et séduire l'électorat parti au Front
national. Nicolas Sarkozy dépense l'argent des contribuables pour une cause qui
n'est que la sienne, sa survie après le 6 mai prochain.
Nous n'avons rien compris. Sarkozy était notre sauveur.
Des jours durant, ses conseillers ont travaillé les médias et l'opinion sur un improbable sommet européen de la dernière chance. Sans accord européen, nous allions tous disparaître, le monde allait sombrer. Ce serait la faillite générale, la confrontation tous azimuts et pourquoi pas la guerre. Rappelez-vous 1929 ! Jeudi soir, 24 heures après les faits, Sarkozy n'avait pas de termes assez forts et anxiogènes devant les deux journalistes ébahis qu'il avait choisis pour expliquer combien nous avions frôlé la catastrophe:
Il ne ressemblait pas à un Sauveur. Assis derrière un bureau vide et sans tiroir, Sarkozy contrôlait mal ses tics. Il se penchait à répétition, agitait ses mains, haussait les sourcils en cascade. On mesurait combien il devait prendre sur lui, forcer le sourire et garder sa hargne. Il voulait être C-R-É-D-I-B-L-E.
Sarkozy était notre Sauveur. Les Bourses étaient d'accord. La fin de semaine fut faste
Nous n'avons rien compris. Il n'y avait pas que la Grèce.
En juillet dernier, le « plan de l'avant-dernière chance » portait le Fond Européen de Stabilité Financière à 440 milliards d'euros, pour sauver une Grèce surendettée à 350 milliards. Il fallut attendre 3 mois pour que l'opération soit ratifiée dans chacun des 17 Etats membres de la zone euro. Le pseudo-leadership franco-allemand ne s'était pas pressé alors qu'il y avait urgence. Sarkozy était même parti en vacances. Il avait fini par revenir deux fois au mois d'août, dérangé entre deux ballades à vélo au Cap Nègre.
Depuis une semaine déjà, les tractations franco-allemandes s'étaient enlisées. Le sommet de dimanche fut reporté à mercredi. En fait, il ne s'agissait plus simplement de sauver la Grèce mais aussi l'Italie. Le roitelet italien du « Bunga Bunga » ne tenait pas ses promesses de rigueur. Il fut même moqué publiquement dimanche par Sarkozy et Merkel. La scène était indécente.
Berlusconi parle beaucoup mais agit peu, cela vous rappelle-t-il quelqu'un ?
En France, Nicolas Sarkozy craignait pour son Triple A. Jeudi soir à la télévision, aucun des deux journalistes n'osa l'interroger sur les doutes de l'agence Moody's à propos de la France. A Paris, les députés UMP se chamaillaient sur les rabots de niches fiscales et autres augmentations d'impôts. Ils votèrent le gel des prestations familiales jusqu'en avril prochain. Depuis 2007, Sarkozy a créé une bonne trentaine de taxes nouvelles. Formidable ! Certains UMPistes ont quelques doutes. Vendredi, Xavier Bertrand, le ministre du travail, avait lâché sur la réduction des indemnités journalières. Mercredi, il avait tenté d'expliqué que les entreprises compenseraient via leurs mutuelles. Funeste arnaque.
Nous avions trop compris. Les banques étaient encore sur son chemin.
Il était énervé, le Nicolas. Mercredi soir, le lobby bancaire a failli lui pourrir son sommet européen. Il fallut attendre 4 heures du matin pour faire une conférence de presse improbable. Les banques créditrices ne voulaient pas supporter seules et sans garantie l'effacement de la moitié de la dette grecque décidé par les dirigeants de l'eurozone (106 milliards d'euros). L'Europe est allée chercher la Chine à la rescousse, pour porter son FESF à 1.000 milliards d'euros de prêts et garanties. La quote-part française sera de 100 milliards, cinq points de PIB, rien que cela. Et Sarkozy nous promit qu'avec les banques, cette fois-ci, les « bonus et rémunérations invraisemblables », c'était « terminé». La Banque de France interdira-t-elle enfin aux banques de distribuer des dividendes ?
Sarkozy nous enfume, mais nous le savons. Quatre ans que cela dure.
Jeudi soir, Nicolas Sarkozy joua donc au professeur à la télévision. Ce Sarko-Show fut un croisement de C'est Pas Sorcier et Combien ça coûte. Il avait mobilisé deux chaînes de télévision (TF1 et France 2), pour une heure et 15 minutes d'explications, de leçons et d'agacements publics. Face à lui, deux intervieweurs choisis par l'Elysée qui ne maîtrisaient pas leur sujet, Yves Calvi et Jean-Pierre Pernault. Quelques blogueurs politiques leur avaient préparé les questions qui fâchent, mais elles furent rarement posées. Calvi et Pernault ne relancèrent jamais quand Sarko répondait à côté. Notre Monarque ne voulait parler que son rôle de sauveur du monde, et de rien d'autres. Douze millions de personnes regardèrent l'émission, un score moyen pour les deux chaînes. Le public, d'après Médiamétrie, était essentiellement masculin et âgé. Comme dirait Jean-François Copé, quelque 54 millions de Français n'ont pas regardé Sarkozy jeudi soir.
Nous avions trop compris. Sarkozy avait un problème de crédibilité.
De
cette heure et 15 minutes de monologue, on retint surtout que Sarkozy avait la
trouille de son bilan. Il n'évoqua pas le chômage. Ce fut heureux. Les
dernières statistiques, publiées trois jours avant, montraient combien
la situation était grave. Il ne parla non plus des 500 milliards d'euros
de dette publique supplémentaire de son quinquennat. Il loua la
fiscalité allemande, son grand dada depuis deux ans, mais qu'a-t-il fait
depuis 5 ans ?
Il resta également bien évasif sur quelques points toujours obscurs du
plan européen: quelles contre-parties avait-il lâché aux banques et à la
Chine ? Car la Chine, la plus grande dictature du monde, est devenue le premier créancier d'Etats imprévoyants. A force de simplifier le débat, Sarkozy omit de dévoiler quelques croustillants détails de l'accord européen, comme celui-ci: dorénavant, chaque gouvernement de l'Union devra consulter ses voisins et la Commission « avant l’adoption de quelque réforme majeure économique ou budgétaire pouvant avoir un impact sur le reste de la zone euro ».
Nous avions trop compris. Sarkozy racontait n'importe quoi.
Les seules annonces furent le relèvement partiel de la TVA et l'abaissement de la prévision de croissance pour 2012. Avec quelques semaines de retard, le Monarque se ralliait au consensus général. Mais le Monarque reporta à plus tard les détails de l'inévitable seconde tranche d'austérité de 6 à 8 milliards d'euros. Courageux ... mais pas téméraire.
Notre Monarque « extrapola » souvent jusqu'à mentir. Ainsi sur les retraites, Sarkozy nous promit que « sa » réforme rapporterait 24 milliards d'euros chaque année au budget du pays. 24 milliards, c'est l'extrapolation gouvernementale ... dans 15 ans !
Sa rage sourde d'être incompris l'égarait. Il bafouilla une improbable explication sur les raisons de nos tourments. C'était la faute ... aux socialistes, avec leur fich passage à la retraite à 60 ans à l'aube des années 80 (« Invraisemblable » !) et leurs 35 heures vingt ans plus tard (Une « folie » !). Le même Sarkozy accusa les excès de la finance mondiale et la crise internationale tout en rappelant que la France depuis 2008 avait moins souffert que la plupart de ses voisins. Que fallait-il comprendre ? Que François Mitterrand et Lionel Jospin étaient responsables de la crise mondiale depuis 2008 ? Ou que le modèle social français nous avait protégé mieux qu'ailleurs ?
Ce jeudi soir devant le poste, on a bien rigolé.
C'était la faute des autres.
Quelle semaine !
Ami sarkozyste, où es-tu ?