Le voleur

Publié le 29 octobre 2011 par Dubruel

D'après Maupassant

Après avoir diné ce soir-là

Chez Sourlat,

Nous restions seulement trois :

Le Poittevin, je crois,

Notre hôte et moi

Nous étions gris.

Étendus sur des tapis, nous discourions

Quand soudain Sourlat

Se leva

Et décrocha de sa collection

Une tenue de hussard et s’en revêtit.

Après quoi, il contraignit

Le Poittevin à se costumer en grenadier

Et il me déguisait en cuirassier.

Tout à coup, Le Poittevin nous fit taire :

-On a marché dans le belvédère.

Sourlat s’écria :

-Au voleur ! Il entonna

Aux armes citoyens !

Et nous équipa un à un.

(Pour moi, un sabre et un mousquet.

Le Poittevin, un pistolet

Et Sourlat, une sorte de pétoire.)

Puis il ouvrit la porte du belvédère.

L’armée entra sur le territoire.

-Tenons un conseil de guerre !

Dit Sourlat qui se nomma général

Et ordonna : Toi, les cuirassiers,

Tu vas couper la retraite à cet animal.

Toi, les grenadiers,

Tu seras mon ordonnance.

Le gros des troupes opéra une reconnaissance.

On fouilla tous les coins sans voir

L’ennemi. Le général ouvrit une armoire.

Je reculai stupéfait.

Un homme me regardait.

Immédiatement, je bouclai

Le placard à deux tours de clé.

L’on tint conseil de nouveau. Avis partagés :

Sourlat voulait tenir le voleur enfermé.

Le Poittevin parlait de l’affamer.

Je proposai de résoudre

Son cas en le faisant sauter à la poudre.

Alors qu’il armait son fusil,

Sourlat nous dit :

-Je voudrais le voir.

On ouvrit les deux battants de l’armoire.

Ce fut une bousculade effroyable,

Une lutte invraisemblable.

C’était un vieux bandit

À cheveux gris,

Sordide et déguenillé.

On lui lia les mains et les pieds.

On l’assit sur une chaise.

Sourlat tout pénétré d’ivresse

Se tourna vers nous :

-Nous allons le juger, voulez-vous ?

Nous étions si gris que cette proposition

Nous parut d’importance.

Le Poittevin présenta la défense

Et moi de soutenir l’accusation.

Il fut condamné à mort à l’unanimité.

Nous allions l’exécuter

Mais un scrupule se fit jour :

On ne meurt sans les secours

De la religion. Il fallait un prêtre.

J’objectais qu’il allait être

Deux heures du matin.

-Alors qu’il se confesse à Le Poittevin !

L’homme roulait des yeux épouvantés :

-Vous plaisantez !

De force, Sourlat l’agenouilla.

Simulant un baptême, il lui versa

Sur la binette

Une rasade de sainte anisette.

-Maintenant, confesse tes péchés !

S’époumonant, le vieux gredin lâchait :

-Au secours ! Au secours !

Afin de ne pas réveiller

La ville et la cour

On dut le bâillonner.

Il se tordait, ruait.

Sourlat criait :

-Finissons-en, à la fin !

Alors demanda Le Poittevin :

-Avons-nous le droit de tuer ce bandit ?

Sourlat lui répondit

Gravement,

Plein de stupéfaction

(Mais pas seulement) :

-Oui, nous avons prononcé sa condamnation !

Mais notre général le reprit : -On ne fusille

Pas les civils.

Celui-ci doit être mené au supplice.

Il faut le conduire au poste de police.

On l’emmena donc au commissariat ;

Mais nos farces y étant bien connues,

L’inspecteur refusa de garder le paria.

Nous voilà repartis avec notre détenu.

Arrivés à destination,

On dénoua ses liens.

On lui retira son bâillon :

-Laissez-moi partir, nom d’un chien !

On lui offrit un verre de rhum

Et nous trinquâmes avec cet homme.

Comme le jour allait paraître

Cette canaille d’être

Se leva et dit d’un ton sentencieux :

-Pardonnez-moi,

Mais il serait judicieux

Maintenant que je rentre chez moi.

Sachez que c’est à regret

Que je quitte votre aimable compagnie.

Nous nous sentions frustrés.

On voulut le retenir, mais nenni,

Il refusa. On lui serra la main

Et dans un ultime geste humain,

Je lui criais : -Sous la porte cochère,

Le pavé est glissant. Méfiez-vous, mon cher !

Les petits voleurs sont pendus, les grands sont salués.

W. Wander