Anthologie permanente : Jean-Paul Curnier

Par Florence Trocmé

APOCALYPSE D’ÉTÉ 
 
Souvent, 
ce qui est admirable 
est voué à l’échec. 
Quand ça devient possible, 
c’est extraordinaire, 
mais il n’y a plus personne  
pour admirer 
une telle banalité. 
 
Nous surnageons 
dans la réalisation de l’extraordinaire 
en nous occupant de menus détails : 
des questions de voirie en politique 
et de poubelle en amour. 
 
La vie en général est une immense accumulation de détails. 
 
On voit souvent, 
pendant les grands événements : 
les raz-de-marée, 
les épidémies, 
les tremblements de terre 
et le reste, 
s’affairer dans les décombres 
à un rythme ralenti, 
des survivants emportant avec eux 
une casserole, un sac, 
un bibelot 
ou une lampe de chevet, 
comme pour ramener l’outrage 
à des proportions plus humaines. 
 
Et vous avez dû imaginer 
un jour, 
quand tout paraît fatigant de solidité 
et de calme autour de vous, 
au bord de la mer, 
vous avez dû rêver 
à un raz-de-marée 
ou au volcan de Pompéi…, 
à cette agitation vitale et frénétique 
qui s’empare de chacun. 
Vous avez peut-être même éprouvé 
cette sensation de complicité avec le monde, 
presque certain de partager avec lui 
l’espoir tenu secret 
d’un désastre à venir. 
 
Dieu n’a pas d’autre figure 
que celle d’une catastrophe en attente. 
 
La perspective de l’Apocalypse 
nous occupera toujours plus 
que celle du paradis. 
 
Jean-Paul Curnier, Moins que rien, La Lettre Volée, 1998, pp. 39-40 
 
Bio-bibliographie de Jean-Paul Curnier 
 
 
[Jean-Pascal Dubost]