Philippe de Champaigne (Bruxelles, 1602-Paris, 1674),
L’Annonciation, c.1644.
Huile sur panneau de chêne, 71,1 x 73 cm, New-York, Metropolitan Museum.
Découvert en 2010 à l’occasion d’un premier disque, O Maria, consacré à Marc-Antoine Charpentier et largement salué par la critique, on attendait avec impatience le deuxième enregistrement de l’Ensemble Correspondances. Confirmant quelques échos rassurants glanés sur Internet quant à la volonté des musiciens de ne pas souhaiter s’éloigner de la musique française du XVIIe siècle, les musiciens réunis autour de Sébastien Daucé nous offrent aujourd’hui une réalisation ambitieuse, L’Archange & le Lys, publié par Zig-Zag Territoires.
Le répertoire sacré composé en France durant la première moitié du Grand Siècle demeure encore, contrairement à celui de la seconde, insuffisamment exploré, car victime d’un double handicap, la concurrence de genres jugés plus prestigieux, comme le ballet ou l’air de cour, ainsi que la rareté et le caractère parfois problématique des sources permettant d’y accéder. Parmi ces dernières, le recueil Deslauriers, copié vers 1650-1660 et qui nous est parvenu, une fois de plus serait-on tenté d’écrire, grâce à l’infatigable Sébastien de Brossard (1655-1730), est un des rares témoins manuscrits de l’incroyable richesse de la musique qui se pouvait entendre au sein des communautés religieuses sous le règne de Louis XIII. Pour élaborer le programme de ce disque, l’Ensemble Correspondances est allé piocher dans ce vaste corpus de 296 pièces en s’arrêtant préférentiellement sur celles attribuées à Boesset, sans que l’on puisse déterminer avec une absolue certitude de quel membre de cette illustre famille il s’agit. Même si l’excellente notice signée par Thomas Leconte tranche en faveur d’Antoine (1587-1643), musicien Blésois dont la carrière fut couronnée par sa nomination, en 1623, au poste de Surintendant de la Musique de la Chambre du Roi qui, s’il est surtout connu pour son importante production dans le domaine de l’air de cour – neuf livres publiés entre 1617 et 1642 –, a également écrit de la musique sacrée aux qualités louées par les observateurs de son temps, dont le très italianophile André Maugars, il n’est pas complètement improbable que le Boesset mentionné dans le recueil Deslauriers soit le fils d’Antoine, Jean-Baptiste (1614-1685), ainsi que le laisse supposer la datation des pièces fournie par Brossard, autour de 1650.
Dans l’hypothèse où le Boesset qui a composé les œuvres préservées sous son nom est bien Antoine, il est tout à fait possible, comme le démontre de façon convaincante le texte d’introduction, que celles pour voix aiguës aient été écrites pour les bénédictines de l’abbaye de Montmartre avec lesquelles il était lié depuis environ 1630 et auprès desquelles il trouva sa sépulture, de la même façon que le recueil des Cantica Sacra (1652, voir ici) d’Henry Du Mont (1610-1684) a été largement conçu, comme il l’écrit dans sa préface, pour les « Dames Religieuses qui ayment les motets à peu de voix, aisez à chanter avec la partie pour l’Orgue ou pour une basse de Viole. » Nous voici donc transportés dans l’univers si particulier des couvents du Grand Siècle où les religieuses, certaines issues de puissantes familles du royaume, ne désiraient pas se contenter d’un service rythmé par le seul plain-chant et avaient donc ouvert la porte à des musiques qui, si elles se devaient de respecter le recueillement et la solennité exigés par leur destination et le contexte dans lequel elles étaient données, se montraient plus conformes au goût du temps, à tel point qu’un public de plus en plus nombreux finit par se presser aux offices non par piété, mais par délectation esthétique, ainsi que le rapportent les témoignages contemporains – songez, par exemple, à l’engouement du XVIIe siècle pour les Ténèbres.
Ainsi que l’indique la symbolique de son titre, ce programme a été conçu autour du thème de l’Annonciation et, plus largement, de la dévotion mariale, dont on imagine sans mal la résonance particulière qu’elle pouvait trouver dans l’esprit des Dames Religieuses. Même si elles émanent de compositeurs différents, les pièces ici proposées partagent des caractères communs, que l’on retrouve d’ailleurs assez largement dans la peinture religieuse de l’époque, celle de Simon Vouet (1590-1649), Jacques Stella (1596-1657) ou de la première période de Philippe de Champaigne (1602-1674). Dominées par la luminosité et la suavité, elles offrent des textures que leur sobriété et la volonté de ne pas céder à une profusion ornementale trop envahissante fait apparaître sobres, mais qui n’en sont pas moins extrêmement raffinées, comme le prouve, par exemple, l’élaboration des différentes parties de la Messe du 11e mode dans laquelle des touches profanes se mêlent à une écriture chorale parfaitement canonique et maîtrisée, lui conférant ainsi beaucoup de souplesse et d’animation. Car il y a une indéniable vie dans ces partitions aux dimensions réduites qui, si elle ne s’exprime jamais, comme ce sera le cas un peu plus tard dans le siècle, par des effets rhétoriques très marqués, n’en demeure pas moins extrêmement perceptible sous la relative décantation de la forme, signant une religiosité à la théâtralité intimiste mais néanmoins palpitante qui ne se révèle à l’auditeur que s’il prend le temps de se laisser gagner par l’esprit de contemplation.
L’Ensemble Correspondances (photographie ci-dessous) se coule dans cet univers pétri de douceur et d’intériorité avec un naturel confondant, qui instaure, dès les premières minutes du disque, une atmosphère de piété tendre et lumineuse parfaitement crédible. Sans prétendre proposer la reconstitution scrupuleuse d’un office, ce programme y fait cependant immanquablement songer par l’adjonction de courtes antiennes en plain-chant comme par sa progression construite avec beaucoup de discernement qui ménage en outre, grâce à l’introduction de pièces instrumentales empruntées à des compositeurs contemporains (Du Mont, Moulinié, Giamberti), des respirations comme autant de méditations sans paroles. Il faut souligner la très grande qualité de la prestation des instrumentistes tout au long de cet enregistrement qu’ils contribuent largement à animer par le soutien attentif et précis qu’ils apportent aux voix comme par la netteté du trait, l’ardeur et l’élégance dont ils font preuve lorsqu’ils occupent seuls l’espace sonore. Les quatre chanteuses ne sont pas en reste et se révèlent très à leur aise dans un répertoire exigeant plus de concentration que d’élans virtuoses. Dotées d’une technique assurée – mention spéciale, sur ce point, aux deux bas-dessus – qui les autorise à dominer les exigences des partitions sans effort apparent, elles déploient des couleurs vocales épanouies et chaleureuses réellement séduisantes, enveloppantes mais avec un galbe très ferme prévenant toute dérive vers le convenu ou le doucereux. Dirigeant son ensemble du clavier, Sébastien Daucé me semble avoir pris l’exacte mesure de ces musiques et la légère tendance à la placidité de sa direction, si elle peut sembler être parfois légèrement désavantageuse dans Charpentier, se révèle ici un indiscutable atout. Son refus de tout effet facile, l’instinct très sûr avec lequel il permet aux dialogues de s’instaurer entre les musiciens, la remarquable finesse qu’il montre dans sa capacité à varier les climats et à soutenir l’intérêt de l’auditeur, l’intelligence globale de sa vision font de L’Archange & le Lys un moment de musique à la fois passionnant et émouvant, un parcours exigeant et généreux dont on ne peut que saluer la réussite.
Je vous conseille donc sans hésitation ce deuxième disque de l’Ensemble Correspondances, dont la hauteur de vue et le soin apporté à la réalisation, tant artistique qu’éditorial, constituent la meilleure réponse possible aux commerçants du baroque, ces rentiers assoupis qui ont abandonné toute velléité d’aventure au profit des ronronnants radotages d’un répertoire ressassé. Il confirme que Sébastien Daucé et ses musiciens font partie des artistes actuellement les mieux à même de faire découvrir et aimer à un large public la musique sacrée française du XVIIe siècle, et l’on espère que ce dernier leur accordera l’attention et le succès indispensables pour leur permettre de poursuivre leur nécessaire et exaltant travail d’exploration.
Antoine Boesset (1587-1643), L’Archange & le Lys, musiques pour l’Annonciation en France au milieu du XVIIe siècle. Œuvres d’Étienne Moulinié (1599-1658), Giuseppe Giamberti (c.1600-c.1662), Henry Du Mont (1610-1684) et anonyme. Plain-chant de l’Antiphonier de Montmartre (1646).
Ensemble Correspondances
Sébastien Daucé, virginal, orgue & direction
1 CD [durée totale : 68’40”] Zig-Zag Territoires ZZT 110801. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Henry Du Mont, Allemanda gravis
2. Antoine Boesset (attribué à), Messe du 11e mode : Credo
3. Anonyme, Visitat Maria Elisabeth, antienne
4. Antoine Boesset (attribué à), Magnificat
Illustration complémentaire :
Étienne Martellange (Lyon, 1569-Paris, 1641), Vue de l’abbaye de Montmartre, 19 mars 1625. Plume, mine de plomb, encre et lavis bruns su papier, 28,7 x 43 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France.
La photographie de l’Ensemble Correspondances est de Philippe Fournier, utilisée avec autorisation.