Car Nicolas Sarkozy, cruelle ironie, n'avait plus que son comportement comme argument électoral.
La nuit précédente avait été courte. Il avait fallu attendre 10 heures de discussions et négociations pour un accord minimaliste sur le sauvetage de la Grèce, la recapitalisation des banques européennes et le renforcement du Fond Européen de Stabilité Financière. Dans la journée, les Bourses du monde avaient célébré cet accord européen comme autant de perspectives spéculatives retrouvées. Les Etats avaient une fois de plus décidé de sauver le système, quitte à rallonger leurs garanties bancaires jusqu'à l'astronomique montant de 1.400 milliards de dollars.
Personne, répétons le mot, personne ne s'était demandé si l'occasion n'était pas trop belle d'imposer une quelconque régulation.
ce jeudi soir, Nicolas Sarkozy avait choisi deux intervieweurs très « pédagogues », selon les termes d'un communicant. On a souri. Sarkozy prenait donc les Français pour des abrutis au point de leur laisser le présentateur de Combien ça Coûte dans les pattes. Jean-Pierre Pernault de TF1 avait dû réviser le sujet de la crise mondiale pendant des heures durant pour comprendre l'énoncé des questions posées par et pour l'Elysée. Dur métier.
Ce soir-là, Nicolas Sarkozy était évidemment candidat.
Il avait préparé ses piques contre l'opposition: « Je trouve un peu triste que nous ne soyons pas capables d'adopter cette règle d'or au prétexte qu'il y a des élections présidentielles » Les allusions politiciennes ne manquaient pas. Mais elles restaient suffisamment vagues pour que ces deux heures de monologue élyséen restent hors quota du temps de parole politique de l'UMP dans les décomptes du CSA. Mais il attaqua la démondialisation, le « candidat du système », les 35 heures (4 fois), et même la retraite à 60 ans (3 fois). Le Monarque remonta le temps jusqu'en 1983 (sur la retraite) ou 2001 (pour les 35 ans). On en oublierait presque que la droite gouverne depuis 2002 et lui depuis 2007.
« Quand en 1983 on a expliqué aux Français qu'on pouvait passer à la retraite à 60 ans les Allemands eux faisaient l'inverse (...) et quand en France on a fait les 35 heures, M. Schroeder, pourtant socialiste, faisait l'inverse...»
« Quand j'entend dire qu'il faut embaucher 60.000 enseignants de plus. Mais où est-ce qu'on va trouver l'argent ? » L'arnaque est facile. S'il avait prononcé le nom de François Hollande, dans cette attaque de candidat, sa parole serait tombée sous les fourches caudines du CSA.
Candidat hypocrite ?
Ce soir-là, Nicolas Sarkozy mentit beaucoup.
Ainsi, il justifia qu'on « ne pouvait pas être président de la République et candidat ». Mais « le débat sur ma candidature sera tranché quelque part fin janvier, début février ». Comment alors expliquer ses multiples conseils politiques à l'Elysée, les confidences répétées de ses propres conseillers, ses propos « off » toutes les semaines contre l'opposition, ses instructions contre François Hollande ? Sarkozy est est en campagne depuis deux ans déjà.
« J'essaye de me faire comprendre d'une situation complexe sans être caricatural ».
On a sourit.
Nicolas Sarkozy ne voulait pas non plus avouer être à la remorque d'Angela Merkel. Il insista sur le faible écart de taux d'intérêt (2,31% pour l'Allemagne contre 3% pour la France). Ce qui était faux, la France emprunte vers 4% (dixit France Trésor). Mais qu'importe, la convergence franco-allemande, ça compte et ça veut dire « L'impôt sur le bénéfice des sociétés, la TVA, des échanges d'informations, une fiscalité du patrimoine qui soit la même ».
Les deux journalistes, incompétents en la matière, ne contredisaient pas.
Ce soir-là, Nicolas Sarkozy jouait un rôle
Comme depuis des mois, il voulait être l'homme de la situation, quitte à dramatiser les enjeux ou sur-célébrer les résultats : « s'il n'y avait pas eu d'accord hier soir, ce n'est pas simplement l'Europe qui tombait dans la catastrophe, c'est le monde entier qui sombrait. » On savait pourtant ce qu'il en était. Il fallait un accord, même minimaliste, histoire de se procurer quelque répit en Bourse. Ce fut fait mercredi soir, sans gloire ni résultat définitif.
Mais Sarkozy, ce jeudi, voulait être Zorro.
Ce soir-là, Nicolas Sarkozy racontait n'importe quoi
Contre les banques, mais pas les nôtres - ces « banques françaises qui sont solides et vertueuses » - Sarkozy avait plein d'idées à quelques mois de la présidentielle. Ainsi, « il faut réguler le marché financier. Les banques ont choqué les Français par une pratique des bonus et des rémunérations incompréhensibles.»
Et Sarkozy promit que la banque de France allait enfin s'occuper de ces abus de bonus et rémunérations. Ah bon ? Mais pourquoi n'a-t-elle alors rien fait depuis la Grande Crise de 2008 ? Et pourquoi donc expliquer, dans la même interview, que les banques françaises ne posent aucun problème ?
Ce soir-là, Nicolas Sarkozy défendait les agences de notation
Serions-nous otages des agences de notation. Ben non ! ... On ne comprenait plus. Sarkozy avait perdu l'auditeur. « Le problème, ce ne sont pas les agences de notation, le problème c'est que nous dépensons trop, il faut travailler plus. » Le raccourci était terrible. Fitch, Moody's et Standard's and Poor's n'avaient rien à se reprocher.
Ce jeudi soir, Sarkozy était leur attaché de presse.
Ce soir-là, Nicolas Sarkozy n'avait qu'une annonce à faire.
Elle ne concernait ni les scandales en cours - espionnages de journalistes, corruption du Karachigate - ni même les injustices du moment (augmentation de la TVA, réduction des indemnités maladies). Nicolas Sarkozy ne voulait même pas commenter la réalité, comme la régulière hausse du chômage - le mot ne fut pas prononcé ! Le Monarque n'avait donc qu'une annonce à faire, la révision à la baisse de la prévision de croissance économique l'an prochain sur laquelle est bâtie l'hypothèse de recettes fiscales du projet de loi de finances: « Nous avons décidé de revoir notre prévision de croissance et de la ramener à 1% pour l'année prochaine, comme nos amis allemands » Cela fait des mois qu'on le poussait, des semaines qu'on le savait, des jours qu'il hésitait. Il s'était gardé lui-même l'annonce de cette « preuve de réalisme ».
Mais, évidemment, notre candidat n'osa pas énoncer comment il comptait trouver les 8 à 10 milliards d'euros d'économies pour compenser cette baisse de recettes, à l'exception d'une hausse ciblée mais « pas généralisée » de la TVA. Tout juste facilita-t-il la tâche de son premier collaborateur, rebaptisé « Monsieur Fillon », en réduisant l'effort supplémentaire de rigueur à 6-8 milliards d'euros: « Nous allons adapter le budget à cette nouvelle réalité. Le premier ministre y travaille ».
Notre Monarque était trop trouillard ou trop en campagne pour annoncer lui-même les mauvaises nouvelles.
Ce soir-là, Nicolas Sarkozy se défendait.
Il avait fini par répondre à une question d'Yves Calvi, sur le financement de la campagne politique d'Edouard Balladur en 1995. « Cela fait bientôt 17 ans, est-ce-que vous imaginez que s'il y avait quoi que ce soit à reprocher à M. Balladur, on ne l'aurait pas trouvé en 17 ans ? » Le Karachigate menace. Sarkozy répéta sa défense depuis juin 2009, combien il était « odieux qu’on utilise la douleur de familles qui ont perdu leurs proches ». Nicolas Bazire, mis en examen dans l'affaire, reste son « ami ». Et contre les journalistes, il prévint: « Laissez la justice faire son travail; (...) n'inventez pas la présomption de culpabilité ».
Il voulait aussi apparaître, comme depuis un an, comme un président protecteur. Les Français, « Je dois les protéger ». Il voulait s'abriter derrière un modèle allemand prétendument incarné par Angela Merkel. Il ne cessa de se présenter comme le réparateur des erreurs des autres, jamais des siennes. Tous coupables, sauf lui ! Pour un Monarque au bilan si détestable et contesté, à gauche comme à droite, la manoeuvre était facile.
Car le plus fascinant de ce nouveau monologue déguisé en interview fut l'incapacité de Nicolas Sarkozy à affronter son propre bilan. L'homme a peur qu'on lui oppose ses échecs, ses renoncements. Il choisit d'infantiliser son auditoire (« la dette c'est mal », « les méchants, c'est les autres »).
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Ton mentor a toujours la trouille.