Aussi longtemps qu’il y aura des épargnants et des emprunteurs, il y aura des marchés financiers. Il est absurde de s’opposer à «la finance», sauf si on favorise le sous-développement et la pauvreté ou si on est illettré économique.
Par Michel Kelly-Gagnon
Ce que veut le mouvement Occupy Wall Street et ses émules n’est pas très clair, mais il semble que plusieurs de ses participants s’opposent à «la finance».Je ne connais pas de meilleure définition de la finance que celle qu’en donne mon ami Pierre Lemieux dans Une crise peut en cacher une autre (Les Belles Lettres, 2010): la finance regroupe les institutions et autres moyens qui assurent le transfert des ressources des épargnants vers les emprunteurs.
D’une part, il y a des gens qui souhaitent épargner pour financer une consommation future. Ceux qui détiennent des régimes de retraite, privés ou publics, font partie de ces épargnants. Ce fait confirme que «la finance» ce n’est pas «eux» (les financiers) par opposition à «nous» car à peu près tout le monde, par le biais de ces régimes de retraites, fait partie de cette interaction.
Et, d’autre part, il y a des gens qui souhaitent emprunter, soit pour consommer maintenant et payer plus tard, soit pour investir. Plusieurs épargnants préfèrent, pour des raisons bien compréhensibles, confier leur épargne à une institution financière qui se chargera de la placer à profit. Ces transferts d’épargne constituent ce que l’on appelle les marchés financiers.
Aussi longtemps qu’il y aura des épargnants et des emprunteurs, il y aura des marchés financiers – à moins qu’ils ne soient interdits par la force. C’est notamment ce que les pays communistes essayaient de faire (certains essaient encore, tels la Corée du Nord et Cuba). Le résultat : l’État monopolisait et dilapidait l’épargne, et plusieurs individus, pour se protéger, devaient cacher leur épargne sous leur matelas, de préférence en devises étrangères. D’autre part, sous ces régimes communistes, les investisseurs ne pouvaient faire appel à l’épargne publique et devaient compter sur les bureaucrates du Plan. Le développement et la prospérité n’étaient pas tout simplement au rendez-vous.
L’un des slogans naïfs des occupants de Wall Street disait : «Emprunter, c’est de l’esclavage». Évidemment, si on interdisait aux gens d’emprunter, personne ne pourrait épargner et obtenir un rendement sur son épargne. Ceci dit, je suis néanmoins d’accord avec les protestataires pour dire que nous avons eu au fil des ans des politiques monétaires (fixées par des entités étatiques) qui ont favorisé l’endettement excessif et, inversement, qui ont découragées l’épargne. Mais il est difficile de blâmer le «capitalisme» ou la «finance» pour cet état de fait.
Le plus grand emprunteur par les temps qui courent est… l’État lui-même. Quand l’État emprunte, les épargnants lui confie une partie de leur épargne, et il y en a d’autant moins à emprunter pour les projets productifs des entreprises ou des particuliers. Comme Pierre Lemieux le fait remarquer, c’est justement la voracité des États emprunteurs qui provoque actuellement une nouvelle crise.
Les intermédiaires financiers essaient d’offrir aux emprunteurs et aux investisseurs des produits financiers adaptés à leurs besoins. Ceux-ci comprennent notamment les credit default swap et d’autres techniques de hedging – qui permettent notamment aux administrateurs de votre fonds de retraite, aux transporteurs aériens et aux agriculteurs de minimiser les risques.
Que l’on s’oppose aux firmes financières subventionnées par l’État ou trop copain-copain avec lui, je veux bien. Que l’on affirme que certains acteurs privés actifs dans le monde de la finance ont commis des erreurs de jugement et/ou des manquements éthiques, je veux bien. Mais il est par contre absurde de s’opposer à «la finance» comme telle, sauf si l’on favorise le sous-développement et la pauvreté ou si l’on est illettré économique.
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Article publié dans La Presse (cyberpresse.ca) le 22.10.2011, reproduit avec l’aimable autorisation de l’Institut Économique de Montréal.