Ce soir, une fois encore, le journalisme aura perdu un peu plus de crédibilité. Nicolas Sarkozy a convoqué TF1 et France 2 pour une émission "spéciale" afin de montrer qu'il est encore là et qu'il peut de nouveau raconter une belle histoire aux Français. Au menu de ce soir : "Comment j'ai pris des risques pour sauver l'Europe ?". Dans le rôle des porte-plumes : l'inénarrable Jean-Pierre Pernaut et le malheureux Yves Calvi, embarqué dans ce naufrage journalistique annoncé. Ce dernier devra faire œuvre d'une grande personnalité pour bien se tirer de ce mauvais pas que l'Elysée lui a tendu.
Car, nous sommes en France, et dans notre auguste pays, le président de la République décide et les médias disposent. Nicolas Sarkozy - fâché du succès des Primaires citoyennes de la gauche - s'est donc taillé une émission sur mesure. L'idée est née dans le cerveau de Jérôme Bellay, directeur du JDD, qui n'a jamais caché ses sympathies pour la droite. La production sera d'ailleurs assurée par la boîte de production de ce dernier, Maximal Production. Mieux, l'émission sera réalisée par Renaud le Van Kim qui, ainsi que l'a révélé Mediapart, a organisé tous les meetings de Sarkozy en tant que candidat à la présidentielle. Comme dit l'adage, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. TF1 et France 2, chaînes de télévisions et donc éditrices de contenus se retrouvent ainsi cantonnées au simple rôle de diffuseuse. Enfin, le temps de parole de Nicolas Sarkozy ne sera pas décompté, car il intervient suite au sommet européen et cela n'entre pas dans son décompte en tant que candidat. Encore mieux.
Ce soir, nous assisterons à la bonhomie de Jean-Pierre Pernaut qui posera des questions
aussi assassines et précises : "Alors Monsieur le Président c'était dur de faire entendre raison à nos partenaires européens ?" "Monsieur le Président, vous ressortez vainqueur de cette épreuve européenne, cela vous donne -t-il envie de vous représenter l'an prochain ?" etc... Yves Calvi sera certainement plus incisif, mais ses questions seront noyées par le format même de l'émission.Hormis ces quelques "détails", ce qui interpelle vraiment ici c'est la façon dont les journalistes ont décidé - encore une fois - de se tirer eux mêmes une balle dans le pied en acceptant un tel format. Nous avions déjà parlé sur ce Journal d'un Journaliste de la fracture journalistique actuelle qui voit les uns abîmer un peu plus une profession qui chaque année apparaît de moins en moins crédible dans les sondages d'opinion, et d'autres qui essayent contre vents et marées de faire le job. Problème : nous sommes dans une société de l'image et ce qu'il reste à la fin c'est cette impression pathétique de soumission au pouvoir.
Faisons un rêve d'un pays où le chef de l'Etat ne choisirait ni ne convoquerait les journalistes pour leur imposer un message à la télévision. Pour la France c'est un rêve, mais cela existe dans les autres démocraties. Nous en sommes, malheureusement très loin.