Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud. Le duo gagnant de Persépolis. Leur adaptation à quatre mains de la BD de Satrapi, Poulet aux prunes, prix du meilleur album 2005 au Festival d’Angoulême, promettait de belles choses. Ils tiennent parole. Mieux ! Ils dépassent les attentes, passant du 9ème au 7ème art avec une facilité déconcertante. Abandonnant les animations qui faisaient tout le charme de leur premier long-métrage, l’illustratrice franco-iranienne et son complice donnent chair à des personnages de papier, en apesanteur, quelque part entre un contre très Mille et une nuit (pour la couleur orientale) et la cruauté de ton imposée par la vie. Dès lors, l’histoire tragique de ce violoniste suicidaire, qui se remémore souvenirs, ratés et moments de bonheur à l’aube d’une mort certaine, touche au sublime. Grâce à un casting exceptionnel (Mathieu Amalric en artiste tourmenté, Jamel Debbouze en marchand fourbe, et Edouard Baer en ange de la mort), le film jongle avec les espaces temps, les réalités, mêlant tout azimut présent fantasmé, anticipation mélancolique et nostalgie du passé.
Au-delà d’une histoire magnifique, contée avec tout autant de férocité que de douceur, Satrapi & Paronnaud font preuve, sur le plan formel, d’une inventivité jubilatoire et courageuse. Ellipses, sauts dans le temps, immersion du fantastique : ils installent un visuel singulier, piquant, profond. On entre dans leur univers doucement, envoûté, bluffé, bercé par des sentiments contradictoires. L’envie de croire et d’aimer d’un côté, la conscience lucide des éphémères de l’autre. Les deux bédéistes s’interrogent : sommes-nous seulement les jouets impuissants du destin ? Des marionnettes conditionnées par notre entourage ? Leur Poulet aux prunes, mi tragédie grecque, mi fantaisie burlesque, se révèle alors tout aussi amer que délicieux, optimiste que méchant. Désillusionné sur les choses, gens, et mystères de l’existence. Mais encore tout plein d’un amour (de l’art, surtout) à donner.