Le Rayon « U » est la première bande dessinée créée en 1943 par Edgar P. Jacobs, père de Blake et Mortimer, en substitution des strips de Flash Gordon, mis à l’index par l’occupant allemand de la Belgique. Elle appartient au genre science-fiction et mêle allégrement des thèmes que l’auteur réutilisera dans toute son œuvre comme le mélange des temps (préhistorique, pré-colombien …) et des techniques de pointe (énergie atomique, avions fonctionnant à l’aide de piles à combustibles).
Du rayon « U », nous n’apprenons rien si ce n’est que les essais en sont terminés et qu’il convient de se procurer le minerai nécessaire, et pour cela retrouver le lieu de son gisement. C’est en case 2 de la BD et on n’en parle plus du tout après. Il s’agit donc d’un peuple qui s’apprête à passer à la phase militaire d’une découverte scientifique (thème réutilisé dans le Secret de l’Espadon). Les « bons », ici, sont ceux qui cherchent à se procurer l’Uradium pour produire des armes, les « méchants » vont tout faire pour les en empêcher. Situation inverse de celle que nous connaissons aujourd’hui avec la non-prolifération des armes nucléaires.
L’équipe des chercheurs d’uradium se met en route vers l’archipel des Îles Noires. Elle est nombreuse : un blond à moustaches, un brun barbu, un roux à moustaches, un gentil Sikh, un major très britannique, une belle brunette – tiens, un personnage féminin ! – et, pour les méchants : un espion à fine moustache. Ils rencontreront un prince aztèque et sa fiancée, et une tribu d’hommes-singes, des créatures gigantesques (serpent bleu, tigre aux dents de sabre, tyrannosaure, poulpe géant …). Ce sont les ébauches des futurs personnages de la série culte : Capitaine Blake, Professeur Mortimer, Nazir, et bien entendu, Olrik. Quant à la demoiselle, elle a disparu en raison de la politique éditoriale du journal de Tintin, très stricte sur ces questions pour la jeunesse !
Ce Rayon « U » est à ranger dans les rayons « archives » de la bibliothèque. Les situations sont invraisemblables mais le scénario rebondit pratiquement à chaque case, comme c’est la loi du genre. Les couleurs ressemblent à des tableaux de Giorgio de Chirico, les costumes ne paraissent pas du tout incongrus de même que la rencontre avec des animaux préhistoriques (comme les ptérodactyles d’Adèle Blanc-sec), les cheminements dans des grottes aux parois phosphorescentes seront repris dans l’énigme de l’Atlantide (entre autres). La belle Sylvia avec sa petite robe bleue me fait penser à Enak, le compagnon d’Alix de Jacques Martin …En revanche, le traitre Dagon n’a pas encore la carrure du colonel Olrik, et les héros ont beaucoup de chance que le minerai enfin ramené en Norlandie ne soit pas radioactif, car en ce cas, je ne sais même pas si je serais en mesure d’écrire cette chronique !
En somme, un univers délirant en concordance avec les années de guerre, des situations loufoques mais judicieusement enchaînées dans des décors invraisemblables d’une beauté stupéfiante où se meuvent des créatures surréalistes. Tous ingrédients propres à nous faire pouffer de rire ….et pourtant, on lit la BD jusqu’au bout. Tout E.P. Jacobs est déjà là. Respect.
Le rayon "U", Edition 1991, 2003, Editions Blake et Mortimer