Je vous propose de revenir au Plaza.
Vous vous souvenez peut-être que j'y ai passé une demi-journée dans le cadre de la célébration du patrimoine vivant que cet établissement avait décidé de mettre en avant pour la première fois cette année. C'était il y a quelques jours, mercredi 12 octobre. Dans le premier billet je relatais mes rencontres avec un concierge, le fleuriste, le fruitier, un cuisinier et le directeur du bar.Aujourd'hui ce seront le chef pâtissier, un sommelier, un maitre d'hôtel et ceux qui ont la charge de l'entretien de ce patrimoine.
Un exemplaire de chaque assiette est ici représenté. Beaucoup de vaisselle japonaise (un sujet dont j'ai récemment parlé sur le blog) pour servir les premiers plats, qui déclinent plusieurs modes de dégustations du cèpe. Au centre de la table se trouve la poêle Le Buyer où crépitent quelques petites choses afin de solliciter aussi bien la vue que l'odorat et l'ouïe. Les fourchettes en forme de baguette sont en titane pour picorer directement ce qui vient de cuire.
On peut être surpris d'apprendre que la présence de couverts à poisson n'est pas systématique sur la table triplement étoilée d'Alain Ducasse. Quand cet aliment est servi ultra frais sa texture est si ferme qu'il est préférable d'employer un couteau dit à viande, en l'occurrence un couteau Hervé Rivolin désigné exprès pour le Plaza. Il faut en effet se rappeler que les couverts à poissons ont été inventés au début du XX° siècle pour consommer des plats où la chair avait été très cuite, et qui donc s'effilochait.Le maitre d'hôtel prend soin de demander avant même d'apporter la carte si le client a un interdit alimentaire ou une intolérance quelconque. A l'intérieur de ce papier de boucher se cachent des toasts qui sont servis en début de service en tenant compte de ces réponses. On grignote ensuite "le lard et le maigre" avec une coupe de champagne tout en choisissant son menu. Le lard provient d'un cochon d'Auvergne tandis que le maigre est le nom d'un poisson qui ressemble au bar et qui est juste mariné, servi avec un pain frotté au beurre demi-sel.On devine au centre de la photo les deux beurriers employés pour servir cet ingrédient à table. le rond, en marbre blanc, est dévolu au beurre doux, le rectangulaire et vitré contient du beurre salé. Un peu plus haut une tablette d'argent contient du chocolat que l'on casse avec le couteau habituellement utilisé pour le parmesan.
Juste à coté, le ramasse-miettes indissociable des grandes maisons. Les assiettes à dessert sont vert céladon, posées entre des couverts en vermeil, très élégants , alors que le repas a été commencé avec les doigts.
Comble du raffinement, la serviette est changée à trois reprises au cours du repas.
Le terme de dessert désigne ce que l’on mange quand on a desservi tout le reste sur le dressoir et vient du fait qu'autrefois on changeait la nappe et les serviettes avant d’apporter le plat sucré.
Ils sont 10 sommeliers au Plaza, supervisés par Gérard Margeon. Outre les achats et le soin apporté à la gestion de la cave (1700 références, 35 000 bouteilles), il est capital de veiller à l'entretien des verres et des carafes.
Celles-ci sont nettoyées avec des billes d'acier, du gros sel et du vinaigre d'alcool, recette applicable à la maison. La question est alors de savoir s'il faut ou non "carafer" le vin qu'on va servir. J'ai retenu qu'il fallait éviter cette opération sur les cépages fragiles, comme par exemple le Pinot noir qui développe très vite sa sensibilité alors que le doute existe peu avec un Cahors.
Que l'ouverture de la carafe avait une importance déterminante. Quand elle est grande elle agira avec davantage de douceur, ce qui conviendrait davantage à un Cote du Rhône. Et qu'il n'y avait pas non plus que les vins rouges à pouvoir être servi en carafe. Un blanc aussi peut gagner à être aéré.
Mais que surtout, dans le doute, il valait mieux s'abstenir, en se disant qu'utiliser un grand verre était déjà un mode mineur de décantation. Si vous avez donc un millésime ancien, une bouteille du type "on l'ouvrira pour célébrer les 20 ans de telle ou telle occasion" le risque qu'elle soit en phase de déclin est très probable.
La meilleure solution consistera à la sortir de la cave, la laisser debout tranquillement et ne l'ouvrir qu'à l'instant de la consommer (et surtout pas de la chambrer une heure avant de la servir). Au pire vous pourrez décanter le dernier quart au cours du repas.
L'opération est codifiée. On ouvre la bouteille; on goute le vin; on avine la carafe, c'est-à-dire qu'on y verse un vin banal que l'on reversera ensuite (pour l'utiliser dans un coq au vin par exemple). Ce n'est qu'ensuite qu'on y fera couler le vin choisi, en le faisant glisser délicatement le long de la paroi : c'est pas l'écume des mers !
Le sommelier regrette les mauvaises habitudes qui consistent à servir le vin à des températures trop élevées. Ici on l'ouvre en salle mais on le remet en cave à 14° jusqu'au moment de le servir avec le plat correspondant.
Aucune question ne désarçonnait ce grand spécialiste qui nous a démontré pourquoi la bouteille bordelaise avait une forme particulière, propice à retenir le dépôt, à condition bien sur de verser lentement le fond. Cet homme est un puriste mais aussi un nostalgique, du temps où, sur les transatlantiques, le madère et le porto étaient filtrés en aiguière pour que le dernier à table n'ait aucun sédiment dans on verre.
Il conseille de se balader en Champagne, à la recherche de petits producteurs, assurant qu'il y a de belles surprises à y faire. On n'y pense pas, mais cette boisson sera davantage appréciée si on la sert dans un grand verre à Bordeaux (soufflé, plutôt qu'avec un pied collé), au "buvant" fin. Il parait que cela change tout ...
Il regrette la disparition des cristalliers français, au profit des usines roumaines et tchèques, indiquant qu'ici tous les verres proviennent de la grande maison Riedel, connu pour avoir la première songé à adapter la forme du verre aux caractéristiques du vin. Il nous fait remarquer au passage que, traditionnellement, la taille du verre est décroissante du début à la fin du repas.
Le Plaza a une très belle réputation dans le domaine de la pâtisserie, acquise grâce à la personnalité et au talent de Christophe Michalak, bien entendu.
Ses buches de Noël, exécutées pour une centaine de privilégiés, ont valu beaucoup d'honneurs à ce créateur, sacré champion du monde de pâtisserie en 2005, qui créé tout de même une bonne centaine de nouveautés chaque année.
Il œuvre avec une brigade d'une vingtaine de pâtissiers dirigée par Jean-Marie Hiblot.
Le Red Flower reste une des spécialités de la maison. Chaque pétale était formé à la poche jusqu'à ce qu'on créé un moule en silicone spécialement pour l'occasion.
Un parfum de litchi. Une base de chocolat noir, sur laquelle est pulvérisé un beurre chaud (45-50°) de cacao rouge au pistolet à peinture qui se trouve figé par la différence de température sur le gâteau froid.
La maison travaille énormément à la réinterprétation des classiques. La religieuse est devenue emblématique. Avec une nouvelle version chaque saison. Dans ce domaine la façon de garnir les choux a été révolutionnaire et a ouvert le champ des possibles.
Les clients sont très sensibles à l'apparence mais pas seulement. On arrive dans une époque où le bio, le zen et le bien-être vont avoir une importance qu'il faudra prendre en considération. Jean-Marie est persuadé qu'il existe une place pour des gâteaux qui seront conçus avec moins de sucre et moins de gras. Il pense que l'on privilégiera bientôt les beurres obtenus à partir de végétaux plutôt que le beurre animal, mauvais pour la santé en terme de cholestérol.
L'objectif serait de travailler comme un artisan tout en continuant à créer des bijoux, comme cette bûche dont les premiers essais ont commencé le 26 décembre 2010.
Après la commode, l'escalier, la traction-avant c'est une pièce de mobilier du bar qui a inspiré l'édition 2011, sur une base de chocolat noir, recouverte de poudre argentée parfumée d'un alcool liquoreux.
Le beurre de cacao a été coloré avec les trois couleurs primaires pour obtenir un noir titane qui a été pulvérisé sur la partie argentée, donnant ainsi cet effet de patine. Les livres, posés sur la tranche, sont autant de parts (le service en 8 parts en sera facilitée à la maison puisqu'il y aura très peu de découpe). Ils sont composés d'une crème mousseline mandarine, traitée un peu à la manière d'un opéra, sous une pâte d'amande imprimée crocodile dans le rouge Plaza. Le bolduc doré fait office de marque-page symbolique. C'est la seule chose qui ne se mangera pas.Les premiers essais ont été fait avec de l'orange, en attendant la saison des clémentines. On peut estimer que chaque buche réclame presque 10 heures de travail. Les 800 livres seront faits un par un. Difficile dans un tel contexte de produire en grande série, ce qui permet de maitriser constamment la qualité. Le menu de Noël sera lui aussi dans la note mandarine-chocolat alors qu'il était plutôt violette-fraise l'année dernière. Et dès le 26 au matin toute l'équipe sera à fond dans la suivante.
C'est dire qu'on ne s'ennuie jamais. Surtout quand on garde en permanence un oeil sur les vitrines des boutiques qui ont la faveur de la clientèle. Les stagiaires sont aussi une source infinie d'inspiration. Ils sont invités à présenter un gâteau de leur région le premier jour. Tout le monde goute. Tout. Avec mesure, pour ne pas "prendre des kilos" ... et sans perdre sa capacité à s'émouvoir avec quelque chose de simplement bon, comme un clafoutis à la rhubarbe ...
Jean-Marie confirme malgré tout que la pâtisserie est un art compliqué. Il n'y a pas "une" recette de cake (j'ai eu l'occasion de raconter mes déboires en matière de cake, à relire le cas échéant) et j'ai compris que je n'arriverai probablement jamais à sortir un produit à la hauteur de mes attentes, gonflé et fendu. Parce que selon qu'il s'agit d'un cake au citron ou aux fruits confits la température du four sera différente, sans parler des proportions de farine et de sucre ... je continuerai donc à me satisfaire de ma version à la carotte et aux noix, dont je ne cache pas la recette.
A l'inverse de Christophe Michalak (qui a déjà confié en interview que son enfance avait été marquée par des aliments en conserve et de la purée en flocons) , Jean-Marie a eu des grands-parents proches de la nature. Il se souvient du filet que l'on posait sur les fraises pour les protéger de la gourmandise des prédateurs. Des carrés de patates. De l'essorage précautionneuse de la salade au torchon , et des bocaux de cornichons que sa grand-mère confectionne encore, à près de 90 ans.
Petits et grands ont de quoi satisfaire leurs papilles et éveiller tous leurs sens. Ces petits monstres d epâte d'amande les attendent pour fêter 'Halloween, tranquillement disposés sur des rochers alimentaires, modelés dans un mélange de sucre glace-gélatine-vinaigre dont je ne vous donnerai pas les proportions, de criante que le résultat ne soit impropre à la consommation.
Après les agapes, rien ne vaut une tisane, chic comme tout au Plaza.
Les miels sont présentés en fin de repas avec le chariot d'infusions, essentiellement composé d'herbes fraiches. Acacia, châtaigner ou leatherwood sont parmi les préférés. Ce dernier s'accorde parfaitement avec la citronnelle qui est coupée à la demande avec des ciseaux d'argent avant d'infuser 5 à 10 minutes.
Eddy m'a donné le secret de la brillance de l'argenterie. Il suffit d'un peu d'huile de coude pour appliquer un mélange de blanc de Meudon avec du brillant breton à l'éponge puis au chiffon, de rincer, de bien sécher (c'est capital) et le tour est joué.Et si l'on ne les utilise qu'occasionnellement, les couverts devraient être enveloppés dans une serviette en papier sous un film plastique et conservés à l'abri de la chaleur.
Quant aux verres il est impératif de les rincer à l'eau chaude et de les essuyer immédiatement.
Alain Ducasse voyage beaucoup et revient toujours avec d'incessantes interrogations, de nouveaux défis à relever. Sa devise, on quitte l'original pour revenir à l'original, a bouleversé la maison. Pour longtemps encore et pour bien des surprises.Le Plaza Athénée se trouve 25 avenue Montaigne, 75 008 Paris.