Requiem pou un massacre (le temps des reprises)

Par Borokoff

A propos d’Octobre à Paris de Jacques Panijel 5 out of 5 stars

17 octobre 1961, vers 20h, à Paris. Plusieurs milliers de Français Musulmans d’Algérie marchent de Nanterre, Gennevilliers, Colombes et de toutes les banlieues environnantes pour protester contre le couvre-feu de 20h30 ordonné par le Préfet Papon 12 jours plus tôt. Ce couvre-feu est une mesure de répression supplémentaire et une provocation pour étouffer les velléités d’indépendance du F.L.N. et du peuple algérien. En famille, avec leurs femmes et leurs enfants, des hommes marchent sur la capitale. Ils sont venus manifester pacifiquement, sans armes, sans agressivité, sans désir de provoquer non plus la police ni les habitants de Paris. Ils vont être massacrés de la manière la plus barbare et anticonstitutionnelle qui soit. Jetés à la Seine, battus, puis cloitrés comme des animaux dans des stades ou des salles de concerts parisiens. Le bilan officiel fait état de deux morts alors que dès le lendemain du drame, des dizaines de corps d’Algériens flottent déjà dans la Seine…

En parallèle de la ressortie du film de Panijel sort sur les écrans Ici on noie les Algériens de Yasmina Adi. Plus didactique et conventionnellement mis en scène (moins captivant donc), le film d’Adi, qui consiste en des témoignages de survivants, a le mérite de révéler que le massacre n’a toujours pas été reconnu par la France (tous les procès ont abouti à des non-lieux) et que les assassins de la police française et de la Force de Police Auxiliaire (la F.P.A., plus communément appelés les « harkis de Paris ») sont désormais couverts par une loi d’amnistie.

Tourné à la fin de l’année 1961, Octobre à Paris est ce qu’on appelle un brûlot politique, le pamphlet d’un homme indigné avant tout qu’un tel massacre ait pu avoir lieu dans son propre pays, presque sous ses yeux et dans le quasi-anonymat.

Jacques Panijel (1921-1960), ancien résistant, chercheur au C.N.R.S., cherchait au départ un réalisateur de renom (ou pas) pour tourner le film. Aucun n’accepta. Face à ce refus, il décida de faire lui-même le film. En préface, des historiens comme Gilles Manceron replacent Octobre à Paris dans son contexte. Le film fut interdit dès sa sortie en 1962. En 1973, le réalisateur René Vautier entama une grève de la faim pour réclamer que la censure soit levée. Il obtint gain de cause.

On ne va pas voir Octobre à Paris tant pour ses réelles qualités cinématographiques que pour la manière avec laquelle résonne encore la colère de Panijel. 60 ans après les faits, son cri de protestation, appel à ce que la vérité soit faite et la « ratonnade » publiquement établie, n’a pas pris une ride. La répression du 17 octobre 1961 (commanditée par le sommet de l’Etat français, c’est-à-dire le président de Gaulle et son ministre de l’Intérieur Michel Debré) a causé la mort de plus d’une centaine d’Algériens sans que l’on puisse en connaitre le nombre exact.

Octobre à Paris consiste en un montage entre des témoignages de survivants, des reconstitutions du drame, des détails (crosses des policiers, crânes en sang) filmés sur des photographies le soir du drame (seuls documents existants de la soirée). L’enquête est minutieuse, les interviews des survivants accablantes pour les autorités. Mais le film de Panijel est très instructif aussi sur les méthodes de torture pratiquées dès la fin des années 1950 à Paris (rue de la Goutte d’Or notamment) sur des Algériens supposés sympathisants du F.L.N. Peu reluisant pour un régime démocratique, symbole international de la terre des Droits de l’Homme.

Dans un montage final éblouissant, Panijel, prend soudain la parole sur un ton sec, vindicatif, demandant publiquement si l’on veut vraiment revoir de telles images de barbarie et ré-assister à un tel massacre ? Parce que nous sommes « tous des Youpins ou des Bicots » clame-t-il haut et fort. Magistrale leçon d’humanisme.

www.youtube.com/watch?v=Ctm-i9dM0qc