J'ai eu la chance de recevoir le dernier roman de Delphine de Vigan, "Rien ne s'oppose à la nuit", dans le cadre de l'opération "les Matchs de la Rentrée Littéraire" organisée par PriceMinister. Attirée d'emblée à la fois par l'auteure, que j'adore, et par les thèmes abordés, j'étais sûre que ce roman me plairait. Et je n'ai pas été déçue!
"Rien ne s'oppose à la nuit, (à) par(t) Delphine de Vigan"... Pourquoi ce titre, me direz-vous?
Tout simplement parce que Delphine de Vigan a tenté avec ce livre de faire la lumière sur son histoire familiale et en particulier sur le parcours de sa mère, elle a cherché en interrogeant les membres de sa famille et leurs proches à briser les tabous et à mettre à jour les zones d'ombre que l'on a toujours préféré taire. En cela elle s'est donc opposée à la nuit, aux ténèbres... On comprend que cette entreprise courageuse était nécessaire pour l'écrivain, qui sentait peser sur son écriture et certainement sur sa personnalité tout entière le poids des non-dits et des secrets de famille.
"Je ne me suis jamais vraiment intéressée à la psycho-généalogie ni aux phénomènes de répétition transmis d'une génération à une autre qui passionnent certains de mes amis. J'ignore comment ces choses (l'inceste, les enfants morts, le suicide, la folie...) se transmettent. Le fait est qu'elles traversent les familles de part en part, comme d'impitoyables malédictions, laissent des empreintes qui résistent au temps et au déni" (page 283).
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Les thèmes abordés dans ce roman me sont chers, cette quête m'est d'une certaine façon familière. Ainsi je n'ai jamais été surprise ou même choquée par les découvertes de Delphine de Vigan, qui viennent simplement confirmer mon point de vue sur le transgénérationnel. Le sujet est passionnant et je me suis facilement laissée emporter par l'auteure, qui essaye de remonter à l'origine des failles de sa mère. Une fragilité dont elle a évidemment fait les frais ainsi que sa soeur Manon, toutes les deux étant marquées à vie bien que de façon différente.
"Peu de temps après la mort de son frère, à l'aide d'un rouge à lèvres couleur sang, Lucile avait écrit sur le miroir de notre salle de bains: "Je vais craquer." Face à ce miroir, nous nous coiffons chaque matin, Manon et moi, cette menace tatouée sur le visage" (page 214).
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Je vois "Rien ne s'oppose à la nuit" comme une sorte "d'auto-thérapie" de Delphine de Vigan, un travail d'analyse et de mise à distance qu'elle nous livre avec sa plume lumineuse et fluide, comme dans ses romans précédents. Elle entrecoupe le récit de l'histoire de Lucile, sa mère, qu'elle prend bien soin d'appeler par son prénom (et qui nous hypnotise sur la couverture du livre), d'états des lieux concernant son processus d'écriture.
"Le sourire de Liane* disparaît, elle se tourne vers moi et me dit, avec ce voile désolé ou accablé qui altérait parfois son regard, dénué de toute hostilité:
- Ce n'est pas gentil, ce que vous faites, ma reine chérie, ce n'est pas gentil.
Je me réveille en sursaut et trempée de sueur. L'homme que j'aime et à qui je raconterai ce rêve quelques heures plus tard, sans être capable d'en transmettre l'effroi, dort à côté de moi. Tout est calme autour de nous. Il me faut quelques minutes pour que ralentisse mon pouls.
Je ne me rendors pas. Pas une minute. Je sais ce vers quoi j'avance" (pages 181-182).
(* Liane était la mère de Lucile et la grand-mère de Delphine de Vigan)
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Une thérapie ne se fait pas sans douleur, et Delphine de Vigan n'échappe pas aux moments de doute concernant sa démarche et de culpabilité vis-à-vis de son entourage. Oui mais voilà, ce livre il fallait qu'elle l'écrive, c'était plus fort qu'elle... Il fallait que ça sorte pour qu'ainsi elle n'ait plus peur, pour qu'enfin elle trouve un peu de sérénité.
"J'écris ce livre parce que j'ai la force aujourd'hui de m'arrêter sur ce qui me traverse et parfois m'envahit, parce que je veux savoir ce que je transmets, parce que je veux cesser d'avoir peur qu'il nous arrive quelque chose comme si nous vivions sous l'emprise d'une malédiction, pouvoir profiter de ma chance, de mon énergie, de ma joie, sans penser que quelque chose de terrible va nous anéantir et que la douleur, toujours, nous attendra dans l'ombre" (page 298).
Photo Baltel/Sipa
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D'après les réactions que j'ai pu lire, beaucoup pensent que ce roman, l'auteure l'a rédigé pour sa mère. Moi je crois que Delphine de Vigan l'a surtout écrit pour elle et pour ses enfants. Délivrée de cet ouvrage qu'elle portait certainement en elle depuis trop longtemps, je suis sûre qu'elle nous livrera à l'avenir des récits très différents... que j'ai hâte de découvrir!
Je vous laisse avec cette réflexion de Delphine de Vigan:
"Ma mère n’a jamais établi de lien entre mon écriture et la sienne. J’ai découvert en rouvrant les cartons qu’elle avait tant écrit et surtout qu’elle avait cherché à publier. Peut-être ai-je mené à bien son désir sans le savoir. Je n’en suis pas sûre" (extrait d'une interview)
Moi je ne suis sûre que d'une chose: ce roman est à lire absolument!
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Un grand merci à PriceMinister pour cette lecture!