Les Gibraltariens clament leur attachement au « modèle anglo-saxon », ce par quoi ils entendent qu’ils veulent vivre comme un peuple libre sous leurs propres lois.
Par Daniel Hannan, depuis Oxford, Royaume-Uni
Les contemporains de Nelson considéraient comme acquis qu'il valait la peine de se battre pour la souveraineté.
À une époque où il est de bon ton de sous-estimer les victoires de nos pères, nous nous souvenons encore de Trafalgar comme d’un triomphe extraordinaire. Ce qui est plus difficile, après plus de deux siècles, est d’imaginer son extrême horreur. Il y avait plus de poids d’artillerie sur le H.M.S. Victory que dans toute l’armée de campagne de Wellington à Waterloo — et Victory était juste l’un des 60 vaisseaux de ligne à prendre part à cette sanglante journée.
Les tactiques peu orthodoxes de Nelson ont fonctionné : coupant à travers les lignes, il a soumis les vaisseaux ennemis à un feu continu sur leurs longueurs. Les flottes française et espagnole ont été anéanties, et la Grande-Bretagne a gagné la maîtrise totale des mers — à peu près au même moment où, à Austerlitz, Napoléon gagnait la maîtrise totale des terres. (Le prochain coup de Boney était la mise en place d’une sorte de proto-U.E., un bloc commercial fermé connu sous le nom de Système continental, le guidant ainsi vers sa ruine à long terme, mais c’est une autre histoire).
Quel meilleur endroit pour célébrer la Journée de Trafalgar que dans le plus ostensiblement fidèle de tous les royaumes et possessions de Sa Majesté, Gibraltar — où le H.M.S. Victory boitait après la bataille, transportant la dépouille de Nelson, conservée dans un baril de brandy, de camphre et de myrrhe.
Gibraltar a eu une représentation au Parlement Européen depuis 2004, et a voté massivement pour les Conservateurs à ses deux élections européennes, mais j’ai honte d’avouer qu’il m’a fallu jusqu’à aujourd’hui pour visiter ce petit bijou patriotique.
Il n’y a encore que trente ans, 60 pour-cent du PNB de Gibraltar provenait du ministère de la Défense. Aujourd’hui ce nombre est tombé à 6 pour-cent, et l’économie extraordinairement diversifiée du « Rocher » comprend des services financiers et des jeux en ligne. En se sevrant des dépenses gouvernementales, Gibraltar est devenu plus riche, plus heureux, et plus libre. Il n’y a pas de crise bancaire ici, pas de chômage structurel, pas de programme d’austérité ; le gouvernement continue de dégager de confortables excédents. En effet, la seule chose qui m’intrigue, est que le ministre en chef, Peter Caruana, qui a présidé à cette transformation depuis 1996, et qui est en lice pour sa réélection dans quelques semaines, ne devrait pas bénéficier de 99 pour-cent de taux d’approbation.
En discutant des misérables plans de l’U.E. concernant les règlements bancaires il y a quelques jours, Caruana a dit quelque chose d’émouvant sans le vouloir. Gibraltar a peu d’influence directe, m’a-t-il dit, et regarde vers Londres pour préserver « notre modèle anglo-saxon » de réglementation financière des imbroglios continentaux. De fait vraiment peu de Gibraltariens sont, au sens littéral, anglo-saxon. Les alliés et les mercenaires de la Grande-Bretagne se sont mêlés ici avec d’autres populations du littoral méditerranéen. Les sangs génois, maltais, portugais, juifs, britanniques, espagnols, et marocains se mélangent. Pourtant les Gibraltariens embrassent la notion de droit de propriété, de règlementation modérée, et d’État réduit – le « modèle anglo-saxon » – aussi fermement qu’ils embrassent la démocratie de Westminster, la primauté du droit, et les cabines téléphoniques rouges.
Chaque fois que je visite les avant-postes de l’anglosphère, je déborde de fierté et de tristesse. Fierté pour la manière dont nous avons exporté l’idée merveilleuse que les lois ne doivent pas être promulguées, ni les taxes prélevées, sauf par les représentants élus du peuple ; tristesse pour la façon dont nous avons abandonné cette idée à la maison. Les Gibraltariens diraient à n’importe qui qui le leur demande qu’ils veulent être britanniques, ce par quoi ils entendent qu’ils veulent vivre comme un peuple libre sous leurs propres lois. Avons-nous oublié ce que cela signifie ?
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