La vidéosurveillance : inutile et inquisitrice

Publié le 26 février 2008 par Alain Hubler

Aujourd’hui, le conseil communal de Lausanne va peut-être traiter une motion de la coalition radicale libérale démocrate-chrétienne connue sous le nom de Lausannensemble . Une motion bien marquée à droite qui demande l’étude de la pose de caméras de vidéosurveillance en certains points de la ville. Points restant à définir. Au surlendemain du plébiscite zurichois pour une réglementation en la matière, la partie n’est de loin pas gagnée. Voici donc un extrait de la façon dont je compte argumenter ce soir.

En matière de sécurité et plus particulièrement en matière de vidéosurveillance, on dit bien souvent n’importe quoi ou tout et son contraire, ce qui revient un peu au même.

À titre d’exemple, voici deux affirmations contradictoires entendues dans la bouche de deux partisans de la vidéosurveillance.

Le premier affirmait que la vidéosurveillance peut, dans une certaine mesure, pallier le manque d’effectifs policiers.
Le second assurait que la vidéosurveillance n’est pas un outil qui doit remplacer les policiers, que ce n’est qu’un complément.

Allez comprendre !

Pour ne pas dire de sottises – on est à l’abri de rien – , je me permets quelques courtes citations mettant en valeur des réflexions intéressantes de scientifiques reconnus et de Verts de Clichy en France.

Sébastien Roché, sociologue, chercheur au CNRS (NouvelObs.com du 16 août 2007)

Dans les espaces ouverts, notamment dans la rue, aucune étude ne prouve que la vidéo ait un effet bénéfique. Non seulement les gens sont difficilement identifiables, mais, en plus, les contraintes extérieures (luminosité, angle mort) rendent l’efficacité de la vidéo aléatoire.

Je pense que les raisons du développement de la vidéosurveillance dans le pays ne sont pas liées aux résultats obtenus. C’est regrettable car on est en train de développer un système sans avoir de preuve de son efficacité. Les deux villes françaises qui ont développé la vidéosurveillance, Lyon et Marseille, ne rendent pas publics les résultats de l’évaluation du système, tant ils sont peu probants.

Un extrait de la pétition des Verts de Clichy

En imposant l’installation de caméras de vidéosurveillance sur l’espace public, dans l’unique but de laisser croire qu’ils maîtrisent la situation, les élus qui soutiennent ce projet sont en train de tromper la population. Aucune recherche sur les effets de la vidéosurveillance n’a démontré une quelconque efficacité de ce système. Pour affirmer cela, nous nous appuyons sur l’ensemble des études indépendantes qui ont été menées : elles démontrent toutes que ces dispositifs n’ont aucune conséquence sur les taux réels de délinquance, les caméras ne faisant que déplacer les actes délictueux. Aussi, les personnes et les biens ne seront pas plus en sécurité. Si le résultat concret d’une installation de vidéosurveillance demeure nul, son coût financier en revanche ne l’est pas. La vidéosurveillance coûte très cher à la collectivité, aussi bien en investissement, avec la pose des caméras et l’aménagement du poste de contrôle, qu’en fonctionnement avec la nécessité d’avoir du personnel pour surveiller les écrans vidéo.

Eric Charmes, maître de conférences en urbanisme et aménagement à l’Institut français d’urbanisme (L’Humanité du 10 juillet 2007)

La plupart des études sérieuses montrent que pour ce qui concerne les troubles de la vie quotidienne, l’efficacité des caméras est assez limitée, en particulier si l’on considère les coûts d’implantation et de fonctionnement de ces réseaux.

Eric Heilmann, maître de conférence à l’Université Louis-Pasteur de Strasbourg (LDH Toulon)

Je suis étonné qu’il [Sarkozy qui se dit impressionné par la police britannique et ses caméras] soit aussi peu informé des travaux des chercheurs britanniques qui étudient depuis quinze ans l’efficacité de la vidéosurveillance dans leur pays. Ils concluent tous que les caméras ont apporté rarement la preuve de leur efficacité dans la prévention de la délinquance.

Quant à la résolution d’enquêtes, la vidéosurveillance peut accélérer l’obtention de résultats à condition d’être précédée d’un travail de renseignements. Les caméras ne servent à rien si l’on ne sait pas ce que l’on cherche. Prenez les attentats de Londres, en juillet 2005, c’est parce que la police britannique avait été informée de l’identité potentielle des suspects qu’elle a pu ensuite les reconnaître sur des images. Cela a été possible parce que des centaines d’enquêteurs ont été mobilisés pour visionner 15 000 vidéos. Penser que l’on pourrait mobiliser de telles ressources humaines pour des actes criminels de moindre ampleur serait se moquer du monde.

Comme on le comprend bien, cette courte série de citations de spécialistes montre que la vidéosurveillance a une efficacité plus que limitée. Pire, elle pourrait constituer un oreiller de paresse ou un leurre pour les responsables techniques et politiques de la sécurité.

En tout état de cause, la municipalité a fait un choix : le choix de la police dite « de proximité ». On n’en pense ce que l’on veut, mais ce choix est celui d’une police présente dans la rue et pas celui d’une ville policée par des caméras de surveillance. Installer des caméras de surveillance irait à l’encontre d’une telle politique.

Par ailleurs, la ville est déjà équipée de caméras de surveillance. Une trentaine d’entre-elles surveillent la circulation, mais servent aussi à plein d’autres choses. On en trouve dans tous les grands carrefours et aux grandes places très fréquentées : Chauderon, Bel-Air, Riponne, Saint-François.

On trouve aussi un grand nombre de caméras, privées cette fois, dans le Flon. Le quartier des loisirs nocturnes est donc déjà vidéosurveillé.

Comme vous le voyez bien, l’implantation, et même l’étude de l’opportunité d’installer des caméras de vidéosurveillance ne s’impose pas. Pire un tel travail serait coûteux, en temps et en ressources humaines. Le groupe A gauche toute ! vous recommande donc de classer cette motion.

Ah, une dernière chose : À ceux qui disent que si l’on n’a rien à se reprocher, on ne devrait pas être gêné par le fait d’être filmé, je réponds si je n’ai rien à me reprocher, je ne vois pas pourquoi je devrais me laisser filmer.