Meurtres pour mémoire (Daeninckx & Puchol)

Par Mo

Daeninckx - Puchol © Futuropolis-Gallimard - 2011

17 octobre 1961. Roger Thiraud, jeune professeur d’histoire et bientôt père de famille, rentre chez lui après sa journée de cours. Ce jour-là, il s’octroie deux heures de plaisir en s’offrant une place de cinéma. Il veille à ce que personne ne le voit entrer dans cet établissement réputé pour diffuser des films fantastiques, un genre fort décrié à l’époque et qui peut lui couter son poste. A la fin de la séance, il fait encore deux haltes : une chez le fleuriste et une chez le pâtissier, il ne veut pas arriver à la maison les mains vides. A 18h25, il passe devant le Cinéma Rex et remonte la rue Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle (2è arrondissement de Paris) lorsqu’éclate une manifestation organisée par le F.L.N. en faveur de l’indépendance d’Algérie. Roger Thiraud revient sur ses pas et assiste, médusé, au massacre des manifestants algériens. Il ne voit pas s’approcher son assassin qui le tue d’une balle en pleine tête.

20 ans plus tard, le 18 juillet 1981, Bernard Thiraud, le fils de Roger, fait une halte de deux jours à Toulouse avant de se rendre au Maroc pour y passer quelques jours de vacances avec Claudine Chenet, sa compagne. Au préalable, il souhaite profiter de sa présence dans la Ville rose pour effectuer des recherches aux Archives Administratives de la Préfecture. Le 18 juillet à 18 heures, alors qu’il sort du bâtiment administratif, un homme le prend en filature et l’abat de sang-froid.

L’Inspecteur Cadin arrive sur les lieux peu de temps après le meurtre. Il récolte les premiers indices et découvre les circonstances de la mort tragique du père de sa victime. Y aurait-il un lien entre les deux meurtres ?

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Vous connaissez peut-être ce roman policier publié pour la première fois en 1984, un ouvrage qui dénonce, entre autres, la violence avec laquelle les services de l’ordre ont réprimé le mouvement de manifestation des algériens.

Le lendemain, mercredi 18 octobre 1961, les journaux titraient sur la grève de la S.N.C.F. et de la R.A.T.P., pour l’augmentation des salaires. Seul Paris Jour consacrait l’ensemble de sa Une aux événements de la nuit précédente :

LES ALGERIENS MAITRES DE PARIS PENDANT TROIS HEURES

Vers midi, la Préfecture communiqua son bilan et annonçait 3 morts (dont un Européen), 64 blessés et 11538 arrestations.

Sur Wikipédia, sur ce blog commémoratif, sur cet article récent du Monde… les nombreux écrits des journalistes et historiens quantifient à plus d’une centaine le nombre de personnes décédées sous les coups des C.R.S. de jour-là. Sans compter les Algériens interpellés le soir du 17 octobre et que personne n’a jamais revu par la suite…

Un événement houleux pour lequel la Police s’évertue, encore aujourd’hui, à dissimuler les preuves. C’est ce point de départ que Didier Daeninckx a retenu pour construire son intrigue policière. En ancrant son scénario sur ce contexte historique précis, le romancier instaure dès le début une tension sourde qu’il parviendra à faire exister tout au long de son récit. La mort de Roger Thiraud est un prétexte pour dénoncer les bavures policières de l’époque et l’impact de ces événements. Les passerelles entre la fiction policière et l’enquête historique sont percutantes, jamais la réalité ne semble être l’artifice de la trame imaginaire, et inversement. Ce point est important pour moi car il m’a gênée à plusieurs reprises durant mes lectures (voir Notre mère la Guerre notamment). Les recherches documentaires réalisées par l’auteur sont en tout cas exploitées à bon escient, offrant le rythme et la fluidité adéquats au scénario. Quant à Cadin le personnage principal, c’est un homme efficace mais plutôt discret, diplomate et fin psychologue. Son attitude mesurée contribue à laisser les événements historiques au premier plan.

1991 : Sept ans après la première publication de ce roman dans la Collection Série Noire chez Gallimard (récompensé notamment par le Grand Prix de Littérature Policière en 1985), une version illustrée est publiée chez Futuropolis… épuisé depuis quelques temps. La commémoration des événements de 1961 est l’occasion de la rééditer. Les dessins sont réalisés par Jeanne Puchol, une auteure qui s’est fait remarquer en 1985 avec Navrant, un manifeste réalisé par un Collectif d’auteurs et dénonçant le sexisme dans le monde de l’édition. Mais revenons-en à Meurtres pour Mémoire où les illustrations s’intercalent dans le récit de Didier Daeninckx. Présentés en pleines pages ou étalés en double page, ces dessins s’intègrent à l’histoire, comme autant de fenêtres ouvertes sur un passage, une expression ou un décor. « Clichés graphiques » fortement emprunts du flegme de Cadin, ces instantanés de Jeanne Puchol fixent un moment-charnière du récit ou lui servent de simple accessoire. Ils ont cependant le défaut de figer trop souvent les attitudes et expressions des personnages.

Très bon polar qui, heureusement, n’a pas été adapté en BD. Je pense en effet que certains passages auraient été difficiles à soutenir, notamment en début d’ouvrage, avec l’épisode du passage à tabac des manifestants algériens.

Cette réédition commémore le cinquantième anniversaire du 17 octobre 1961. A ce sujet, Jeanne Puchol consacre un article (en date du 18 octobre dernier) sur son blog et oriente les lecteurs vers l’interview (17 octobre) du romancier sur France Culture : podcast de l’interview.

Pour les lecteurs qui souhaiteraient s’orienter vers d’autres ouvrages sur ce thème : Livres sur le 17 octobre 1961.

L’avis de Julien Vedrenne (K-libre) et BD75011, le blog de Manuel F. Picaud sur les articles de commémoration (épisode 1, épisode 2, épisode 3, épisode 4).

Avis sur le roman : Joëlle, Miss Alfie, Lecture-écriture, Claire et Charlotte,

Meurtre pour mémoire

Éditeur : Futuropolis – Gallimard

Collection : Les romans illustrés

Illustrateur : Jeanne PUCHOL

Romancier : Didier DAENINCKX

Dépôt légal : septembre 2011

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Meurtres pour mémoire – Daeninckx – Puchol © Futuropolis-Gallimard – 2011

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