Bloc-Notes, 27 octobre / Les Saules
Alexandre Vialatte nous revient - et c'est tant mieux! - car outre ses admirateurs les plus inconditionnels qui suivent ses écrits depuis des lustres et ne sont manifestement plus en âge d'affronter leur service militaire, la fleur au fusil, voici que les plus jeunes, sans doute un peu agacés par le conformisme ambiant, affirment haut et fort leur ferveur pour cet éternel jeune homme.
J'avais treize ans - nous confie dans sa préface Jean-Pierre Caillard, P.D.G. du Groupe La Montagne -, je croyais déjà à la littérature. L'illumination m'était venue à la lecture des chroniques, rituellement programmées par La Montagne, de cet homme, un écrivain, qui savait sublimer la quintessence imaginaire de la vie, aux yeux éblouis de l'adolescent que j'étais. (...) Jamais nous ne laisserons dire que treize ans est le plus bel âge de la vie. Pourtant, Vialatte, Nizan, Nimier, Blondin et quelques autres encore, auront préparé pour nous des confitures et des goûters littéraires somptueux, qui surpassaient sans peine ceux que nous accordaient les jeux trop attendus de nos âges.
Ainsi, dans le présent volume qui vient de paraître - Vialatte à La Montagne - 25 de ses chroniques sont présentées et choisies par des auteurs actuels, parmi lesquels Amélie Nothomb, Laurence Cossé, Pierre Jourde, Marie-Hélène Lafon, Philippe Meyer, Pascal Ory, Philippe Vandel et la rédaction de La Montagne.
Quel délice de mordre ces textes comme une pomme qui a ce goût d'enfance, cette curiosité de l'instant présent ou cette poésie de la mémoire qui fait notre enchantement et notre légèreté dans un huis-clos de la pensée où souvent les professeurs se prennent pour des innovateurs, les politiques pour des marabout et les écrivains pour des chantres du réel. Mazette, tout un programme! Ni célébration insolente de la vie, ni confrontation audacieuse avec la mort, avec cet entre-deux stations qui bourgeonne, tremble et séduit le lecteur. Mieux encore: l'homme...
Rien de tel chez Alexandre Vialatte, toujours passionnant, respectueux, instructif à la manière d'un instituteur qui distribue des billes de toutes les couleurs dans une cour de récréation à des gosses au sourire désarmant. Qu'il nous parle de grammaire, de ses admirations - Mauriac c'est la fièvre, Chardonne c'est la lumière, Pourrat c'est la chaleur - de nains de jardin, de vacances ou de chiens, il surprend, aiguise le regard et ranime en nous les braises chaque jour prêtes à s'éteindre. Lisez son portrait de l'homme d'aujourd'hui, étrangement contemporain: L'homme d'aujourd'hui entend se comporter comme un adulte responsable. Il se méfie des idées preconçues. Ou imposées. Il recherche les faits. Il dispute, il juge, il décide par lui-même. Il veut connaître le dossier des affaires sur lesquelles il doit s'engager. (...) Le prospectus général l'assure qu'il ne cesse de devenir plus libre, plus intelligent et plus fort. Que les siècles se superposent et qu'il y voit, par conséquent, de plus en plus loin. Mais il en va de ce socle hautain comme de celui de ce procureur auquel un avocat disait: Monsieur l'avocat général, votre position supérieure est une erreur de menuisier.
Parmi d'autres sujets, citons encore son approche piquante du roman: On a tout essayé pour trouver du nouveau: le roman sans histoire, le roman sans personnages, le roman ennuyeux, le roman sans talent, peut-être même le roman sans texte. La bonne volonté a fait rage. Peine perdue, on n'est parvenu qu'à créer le roman sans lecteur. (...) A lire tant de romans de penseurs qui demandent à bénéficier de l'irresponsabilité de l'enfance, on se demande s'il y a encore des pères de famille dans les lettres, j'entends des hommes qui, arrivés à un certain âge, admettent qu'on ne peut rien faire sans une règle du jeu. La spécialité de notre époque est de la refuser en tout domaine. Notre civilisation en crève. Par peur de vivre. On ne peut avoir de raisons de vivre que si on a des raisons de mourir. Or on ne meurt pas pour le bloc-évier ou l'appareillage électrique. Et pour quoi donc? Demandez au caporal, demandez au romancier de service, c'est le moment ou jamais, notre civilisation vide ses dernières cartouches. Le caporal cherche dans ses poches. Il a égaré la consigne.
Et c'est ainsi - pour paraphraser l'auteur - que Vialatte est grand!
Alexandre Vialatte, Vialatte à La Montagne (Julliard, 2011)
Alexandre Vialatte, Chroniques de La Montagne, 1952-1971, 2 vols. (coll. Bouquins/Laffont, 2000)