Hergé remixed
Il était difficile de ne pas rejeter en bloc la proposition de Spielberg : adapter la reine des BD belges avec des acteurs et des scénaristes anglophones, le tout en images de synthèses et en relief. Pourtant, il est presque impossible de ne pas craquer devant le voyage formidable du reporter, magnifié et transformé dans un film d’aventure hors du commun.
Tintin a plus de 80 ans. Né en 1930, le jeune reporter belge n’a pas été ce bloc qui nous semble uni d’une vingtaine d’albums que nous connaissons tous. Revues et corrigées, pour ne pas dire nettoyées, ses aventures subirent dans les années cinquante et soixante un ravalement de façade surprenant. Le voir ici, tout texturé et sous les traits de Jamie Bell n’était donc qu’une évidence tant il fallait dépoussiérer le vieillard.
Spielberg et Jackson — par ailleurs producteur et réalisateur de la deuxième équipe mais le film a plus été réalisé à deux qu’autre chose — ont pris leur temps et attendu que Robert Zemeckis teste en long, en large et en travers la technologie avec The Polar Express, Beowulf et A Christmas Carol. Le terrain déblayé par un autre, les deux réalisateurs n’ont plus qu’à s’installer. Les scénaristes mélangent a priori brutalement trois tomes et quelques pour en faire un film d’aventure qui semble être le vrai héritier d’Indiana Jones. Les références fusent et jamais le rapprochement entre le héros de Spielberg et celui d’Hergé n’a été aussi évident.
Pour tout vous dire, le film commence mal. Pas du tout habitué aux joies de l’image de synthèse, Spielberg semble oublier les règles de bases du cinéma et faire virevolter sa caméra dans les premières séquences, jamais aussi malin que Zemeckis. On commence à se demander où il veut en venir et c’est là que le film démarre réellement. C’est alors le début d’un long périple entre rêve et réalité, où Spielberg ne se demande plus si c’est trop ou pas assez. On voit Haddock réellement alcoolique, sans doute plus que chez Hergé mais aussi Tintin qui dégaine une arme avec un agilité surprenante (Bruno Podalydès, dans une chronique parue dans le Monde, remarque avec justesse qu’il n’aurait jamais fait ça, comme il n’aurait jamais accroché ses exploits sur les murs de son bureau…).
On est au-delà du film d’animation habituel car on n’y fait pas du cinéma classique et pépère. La caméra virevoltante du début du film prend ici tout son sens : Haddock délire et c’est un véritable bateau pirate qui prend d’assaut les dunes du Sahara ; chacune de ces séquences est l’occasion d’un fondu superbe où se mêle l’intrigue et le rêve. Chaque minute du film offre un régal pour les yeux et visiblement tout le monde s’y amuse. Spielberg se cite lui-même avec une course-poursuite en side-car, John Williams de même avec une pique à Indiana Jones et au final, ensemble, ils nous offrent ce qui est la séquence la plus incroyable de l’année, un plan-séquence décoiffant qui nous fait dire à voix haute : “Mais quand est-ce que tu coupes ta caméra ?”
Jamais à court d’idées mais sans doute étouffant tant le rythme est soutenu, ce Tintin est juste comme il faut, retrouvant l’esprit et l’ambiance d’Hergé avec une énergie moderne. Bien sûr il y a ici et là des petits détails qui viennent ternir l’expérience — la 3D discrète donc inutile ou un personnage qui frôle l’uncanny valley — mais Spielberg assume et assomme le spectateur malgré tout, avec ce divertissement impeccable. Le meilleur compliment qu’on peut lui faire ? En sortant de la salle, nous n’avions qu’une envie : relire toutes les aventures de Tintin.
Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne
Sortie le 04 octobre 2011
Photos : © Sony Pictures Releasing France