Certes, cette convocation de Berlusconi sommé d’appliquer sans délai les
préconisations du couple Sarko-Merkel a peut-être été un brin brutale, mais il
faut dire que la pression monte, l’Euro et l’Europe sont en danger et on peut
comprendre que ceux qui se démènent pour trouver des solutions soient un
tantinet exaspérés par ce qu’ils considèrent comme une attitude irresponsable
de la part d’un élément majeur de la communauté.
Car ou est le vrai risque ? il n’est pas sur la Grèce dont
l’endettement même si il est énorme par rapport au PIB du pays n’est que de 330
milliards et dont le risque de défaillance est maintenant très largement
anticipé, non, il est sur les gros de la zone euro, sur l’Espagne et surtout
sur l’Italie !
Evidemment, en cas de problème, il ne saurait être question d'éponger la
moitié des 1 900 milliards d’euros de la dette publique italienne, comme les
banques et les Etats de la zone euro s'apprêtent à le faire avec les 330
milliards d'euros du total de la dette grecque.
Pourtant l’Italie ne va pas plus mal que la France et même mieux sous
certains aspects. Certes sa dette est plus importante avec 120% de son PIB
contre 82% pour la France, mais son déficit s’établissait à 4,6 % de son PIB en
2010 contre 7 % pour la France. Mieux encore, son solde primaire, c’est-à-dire
le solde budgétaire hors le coût du service de la dette, était pratiquement
équilibré en 2010, alors que la France affiche un déficit d’environ 3
%.
Le vrai problème de l’Italie est le même que celui de la France, c’est sa
faible croissance passée et à venir. Et cette croissance, peu de monde pense
l’Italie capable de la remonter durablement, en clair peu de monde pense
l’Italie capable de mettre en œuvre les politiques structurelles qui
permettraient de résorber les maux dont elle souffre. A tort ou à raison, ce
qui fait la différence avec la France c’est la crédibilité accordé à ses
dirigeants et plus spécialement à Berlusconi qui est (à juste titre)
complètement déconsidéré.
Et ce que regardent les marchés et les agences de notation, ce n’est pas
seulement la situation d’un pays à un moment donné mais surtout ses
perspectives et la capacité de ses dirigeants à résorber les déséquilibres. Or,
la situation politique de l’Italie est préoccupante. Malgré ses promesses et
ses différents plans de façade qu’il s’est empressé de dépecer en faveur de ses
amis ou inféodés, Berlusconi apparait plus préoccupé par ses parties fines et
ses affaires personnelles que par le redressement des comptes de son Etat. Si
on ajoute à cela, les députés italiens qui se
castagnent et sa Ligue du Nord’s dépendance, on comprend le
déclassement des obligations d’Etat italiennes de Aa2 à A2 par Moody’s et
de A+ à A par Standard & Poor’s.
Alors évidemment Berlusconi est vexé comme un pou et les italiens ont leur
latine fierté de froissée, mais il va falloir que les italiens comme les autres
européens s’y habituent, qu’ils mettent leur fierté nationaliste dans leur
poche avec leur mouchoir dessus !
Il va falloir que tout le monde comprenne que les membres de l’Eurozone sont
embarqués dans le même bateau et qu’il ne sera plus possible de ramer chacun
dans son sens. La survie de l’euro passe par une discipline budgétaire qui
devra s’imposer à tous. Et comme on a pu le constater, sans capacités
coercitives permettant à l’Europe d’imposer cette discipline, chacun n’en fait
qu’à sa tête. Et tant pis si le rafiot sur lequel nous naviguons tous prend de
plus en plus l’allure du Titanic qui s’est pris un iceberg en pleine tronche
!
La seule solution est alors le fédéralisme. D’autant plus indispensable que
le besoin de financement d’un certain nombre de pays de la zone euro (Grèce,
Portugal, Espagne, Italie, France) est en grande partie structurel. Il est lié
à la spécialisation productive de ces pays, orienté vers les services au
détriment de l’industrie.
A partir du moment ou le besoin de financement est récurent et que le
financement privé va commencer à faire défaut ou du moins à se surenchérir
considérablement, il leur faudra lui substituer un endettement public européen
qui ne pourra provenir que des pays structurellement exportateurs.
Dans ce cadre, l’idée des Eurobonds semble pertinente car elle permettrait
d’émettre des emprunts pour financer l’ensemble de la zone euro, indépendamment
de la situation et des besoins de financement de chacun des pays ; la
qualité de ces emprunts serait considérée sur la base de la situation
d’ensemble de la zone euro, qui est favorable.
Mais évidemment, en contrepartie du fédéralisme, il y a nécessairement
supervision collective des politiques économiques et capacité d’imposer à un
pays un changement de ses politiques, c'est-à-dire sanctions et perte de
souveraineté des parlements nationaux. Et cette perte de souveraineté ne
portera pas seulement sur la politique budgétaire et les déficits publics, mais
aussi, sur tout ce qui peut influencer la productivité d’un pays : les
politiques salariales, fiscales, de l’innovation, de la concurrence, du marché
du travail …
Ceci impose rien de moins que la mise en place d’une gouvernance économique
et budgétaire commune, la possibilité pour l’Europe de lever de l’impôt, la
modification des traités européens et l’acceptation des pays de limiter les
pouvoirs de leurs instances exécutives et législatives…et compte tenu des
enjeux, tout ceci dans un cadre parfaitement démocratique bien entendu
(référendum). Autant dire que c’est du pain béni pour tous les populistes
d’Europe et que c'est loin d'être fait compte tenu de la perte importante de
souveraineté nationale que cela supposerait !
Faute d’une telle organisation et de règles qui s’imposeraient mécaniquement
à tous, les pays en difficulté resteront à la merci de leurs créanciers et du
bon vouloir des pays vertueux.
Paradoxalement, le fédéralisme, en organisant une gestion collective et
solidaire des politiques économiques et budgétaires de tous les pays de la zone
euro, permettrait à chacun d'y trouver sa place sans crainte d'être dénigré par
ses voisins et de se sentir humilié pour avoir été vertement rappelés à l’ordre
par leurs pairs !