Lorsque cette conseillère en finance a tenté de devenir autoentrepreneuse, la préfecture y a vu « un moyen dilatoire de rester indûment sur le territoire ».
Voici mon histoire d’immigrée américaine. Celle de plein d’autres, depuis le durcissement de la politique d’immigration menée par le ministre de l’Intérieur Claude Guéant. Cette politique détruit les vies de beaucoup d’étrangers installés et intégrés depuis longtemps ici. Elle prive la France de leur réelle contribution à l’économie. Elle est appliquée d’une façon complètement illogique et injuste.
Après une licence en science politique d’une université américaine, j’ai obtenu le diplôme du programme international de Sciences-Po Paris en 2000. Je suis arrivée à Paris en 2005 dans le cadre d’un double diplôme en économie et en finances entre une autre université américaine et Sciences-Po.
Une fois diplômée, on m’a proposé un poste dans une société française spécialisée dans le conseil en finance. Avec mon CDI, j’ai obtenu un titre de séjour salarié auprès de la préfecture de police, régulièrement renouvelé depuis 2005.
Je pensais que cela serait automatique
En mars 2010, j’ai décidé de créer une entreprise avec le statut d’autoentrepreneur : je voulais donner des cours d’anglais et des services de traduction aux particuliers et aux entreprises. Je me suis inscrite auprès de l’Urssaf et j’ai obtenu un numéro Siret en avril.
Je me suis aussi renseignée sur la manière d’obtenir un titre de séjour correspondant au statut d’autoentrepreneur. J’ai été dirigée vers le service « Commerçants » de la préfecture puis j’ai effectué toutes les démarches requises pour commencer mon activité.
Janvier 2011. Cinq mois plus tard, toujours pas de réponse définitive. Mon titre de séjour salarié est expiré depuis août 2010, je possède juste un récépissé. Je suis alors contactée par un chasseur de têtes : je signe à nouveau un CDI avec une autre société de conseil spécialisée en finance.
Pour un étranger, il n’existe pas de titre de séjour « salarié et commerçant ». N’ayant pas eu de réponses pour le titre « commerçant », j’ai cherché à renouveler celui de salarié grâce à mon CDI, pour mener mes deux activités. J’avais effectué cette démarche plusieurs fois sans aucun problème. Mon nouveau contrat était presque identique aux précédents : je pensais que cela serait automatique. A tort.
Un mois pour quitter le territoire
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En février, la préfecture a refusé ma demande. Elle m’a envoyé, deux semaines plus tard, une obligation de quitter le territoire français dans un délai d’un mois, jugeant que ma demande était :
« Un moyen dilatoire de rester indûment sur le territoire. »
J’ai montré cette lettre à tous mes amis, à tous ceux qui ne me croyaient pas. La réaction était toujours la même : choc et incompréhension. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter l’expulsion ? Plusieurs m’ont même accompagnée à la préfecture pour voir de leurs propres yeux ce qui est en train d’arriver aux immigrés.
Je suis en France depuis six ans, je loue un appartement dans le centre de Paris. J’ai toujours travaillé, cotisé et payé mes impôts. Tout mon réseau professionnel et mes amis sont ici. Je suis complètement intégrée dans la société française. Et tout ce que j’ai construit seule, après des années de travail, est tout d’un coup détruit par la préfecture de police.
Je devais commencer mon nouveau contrat le 1er mars. Mais depuis cette lettre, je vis une vie de galère de pauvreté et de terreur. Je suis obligée de refuser les offres de travail. Je dois bientôt quitter mon studio mais sans papiers et sans contrats, impossible de trouver un autre endroit.
Ma vie en France est tout ce que j’ai
Il reste les canapés des amis. Je fais des petits boulots sans papiers avec le risque de ne pas être payée. Je vis au jour le jour avec le souci permanent de conserver mon toit et de trouver à manger. Tout ça parce que la préfecture a jugé mon CDI comme « moyen dilatoire de rester indûment en France ».
Je refuse de baisser les bras devant une telle injustice. Et je n’ai pas le choix : ma vie en France est tout ce que j’ai. Aux Etats-Unis, en pleine crise économique, je serai au chômage, sans assurance santé, dépendant de mes parents : je ne peux pas leur demander de me soutenir financièrement.
J’ai donc entamé un processus juridique contre la préfecture. J’ai gagné ma première audience qui a suspendu l’obligation de quitter le territoire et forcé la préfecture à réexaminer ma demande. J’ai donc été reconvoquée en mai : fin septembre, elle m’a rappelée pour me dire qu’elle n’avait jamais vu mon contrat.
J’en ai pourtant donné trois copies : en février, en avril et en mai. Je l’ai donc envoyé une quatrième fois par lettre recommandée. J’ai bientôt une dernière audience au tribunal : mon dernier espoir d’avoir enfin des papiers.
Ce lundi 24 octobre, bonne nouvelle : le rapporteur public a annulé l’obligation de quitter le territoire. C’est la reconnaissance de l’illégalité de la décision. Le préfet doit donc à nouveau statuer sur mon dossier.
Vouloir travailler, payer mes impôts, un crime qui mérite l’expulsion ?
De cette expérience, j’ai appris plusieurs choses :
- comment survivre seule, dans des circonstances financières terrifiantes ;
- l’Etat n’est pas toujours là pour vous protéger. Au contraire : il faut parfois se protéger contre un Etat qui ne respect pas ses propre lois.
Pour beaucoup d’entre nous, l’administration française de l’immigration est un cauchemar. Les lois de la République sont appliquées d’une façon aléatoire ou pas du tout. En tant qu’immigrée, je ne peux pas voter mais je paie des impôts à l’Etat. Ces impôts soutiennent l’Etat-providence et paient les salaires de ceux qui m’expulsent.
Avant de l’être moi-même, j’étais bénévole pour les sans-papiers auprès d’une association à Paris. J’aidais les gens arrivés en France dans des circonstances difficiles. Je ne mérite pas plus qu’eux de rester. Je sais d’ailleurs que j’ai la chance d’être américaine et diplômée. Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter l’expulsion ? Vouloir travailler, payer mes impôts, c’est un crime qui mérite l’expulsion ?
Je veux vivre dans ce pays que j’aime
La France est perdante quand elle chasse de son pays des immigrés qui participent à l’économie. Elle perd nos impôts, notre consommation intérieure et notre productivité au sein des entreprises françaises.
J’aime la France, sa culture, sa langue, son histoire, son respect pour les droits de l’homme. Aux Etat-Unis, les droits (assurance santé, éducation, etc.) s’achètent de plus en plus : ceux qui n’ont pas les moyens s’endettent pour survivre. Ce n’est pas le cas de la France.
Je demande juste le droit de pouvoir travailler dans ce pays en solidarité avec ses citoyens. De participer à la société et à l’économie, d’offrir mes compétences et de payer mes impôts dans ce pays que j’aime. Merci.
Une Américaine : « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter l’expulsion ? » | Rue89.