Rarement une série nippone aura parlé aussi frontalement de la position du Japon après la Seconde Guerre Mondiale que Nankyoku Tairiku : la série s'ouvre sur un constat de défaite, de déshonneur, d'échec amer et de populations en déroute. D'un ton misérabiliste, le pilote de cette grande fresque va avant tout nous parler de l'honneur perdu du Japon, et de comment une expédition au Pôle Sud va lui permettre de le retrouver.
Le premier épisode ne recule donc devant aucune façon de nous montrer à quel point le Japon est un pauvre pays méprisé par le reste de la planète, plongé dans une crise touchant à la fois ses finances et son moral. S'il y a, certes, une indéniable vérité historique derrière cela, le ton victimisant d'une bonne partie de l'épisode a de quoi faire sursauter plus d'une fois tant la déformation est patente.
Car Nankyoku Tairiku ne veut pas vous raconter une histoire à la Croc-Blanc et vous émouvoir en tant que spectateur, comme, je l'avoue, je l'avais cru au départ. Nankyoku Tairiku veut vous parler en tant que Japonais. Pour le spectateur étranger, le gaijin, qui a forcément un peu de recul vis-à-vis du patriotisme nippon (du moins faut-il le lui souhaiter), l'expérience est forcément un peu déroutante de se retrouver pris dans ce récit bourré de parti-pris. Un bon exemple, c'est la convention à Bruxelles qui est supposée déterminer quels sont les pays qui feront partie de l'expédition internationale au Pôle Sud : les Occidentaux présents sont tous méprisants et/ou ouvertement insultants, les pauvres Japonais y sont tournés en ridicule puisqu'ils ont eu le culot de venir... au final, la scène s'arrêtera là et la narratrice se contentera de dire que, finalement, l'équipe japonaise fera bien partie de l'expédition. Comment ? Pourquoi ? On l'ignore, mais la scène d'humiliation préalable a été longue et éloquente. Je suspecte des pratiques pas très reluisantes pour faire accepter à la communauté internationale la participation du Japon à cette aventure, sans quoi on peut être sûrs que l'épisode aurait passé 10 bonnes minutes sur les discours pleins de passion des protagonistes prouvant qu'ils sont animés de nobles intentions et qu'au final ils méritent qu'on les laisse se lancer dans cette noble expédition.
N'ayez pas de regret : des speeches dans ce genre, on en aura quelques uns dans le (long) pilote de Nankyoku Tairiku, chacun nous rappelant à chaque fois combien il a fallu de courage, d'abnégation et de fort sentiment patriotique pour en arriver là. Là encore, l'envie est très forte de lever les yeux au ciel devant pareil étalage d'intentions dégoulinantes de beauté.
A cela vient s'ajouter une musique grandiloquente, soulignant le moindre geste comme un acte d'un héroïsme inoui. L'omniprésence de la musique "à la Disney" est là pour renforcer les scènes faibles (elles sont nombreuses) et donner envie au spectateur japonais de gonfler le torse sur son canapé.
Mais les pratiques disneyennes ne s'arrêtent pas là. Tout est fait pour vous tirer des larmes et rendre les choses plus tragiques encore. On trouvera donc des références aux Japonais (civils ou non) morts pendant la guerre, avec une utilisation vraiment trop évidente du Yamato, des histoires à faire pleurer dans les chaumières sur le courage du papa du héros, un cuisant échec qui hante ledit héros, des ouvriers qui travaillent sous la pluie, et bien-sûr un chien mort (c'était ça ou un chaton, mais vu le contexte...), plein de chiens bien kawaii qui tirent la langue à qui mieux-mieux, des enfants pauvres qui donnent leur maigre sou pour soutenir l'expédition, et des enfants qui laissent partir leur chien au Pôle Sud "parce que c'est ce qu'il veut" alors qu'ils le considéraient comme leur père (I kid you not). Putain, c'est beau.
Non. Non-non. Ce n'est pas fini. Le bilan est déjà bien lourd mais il n'est pas encore exhaustif.
Il faut aussi mentionner le VILAIN MECHANT. Un vrai de vrai, avec le regard en biais et les cheveux gominés, qui veut absolument causer du tort au héros, et donc à l'expédition, et en fait au Japon tout entier. Trahison !!! On aura sans doute le temps plus tard de le perdre sur la banquise (...ce con de héros est bien fichu de le sauver) mais pour le moment, en 1h46 de pilote (je vous le disais, il est long), impossible de s'en défaire ; alors qu'il est fonctionnaire au ministère des Finances, il va trouver le moyen de se taper l'incruste dans l'expédition. C'est apparemment une version voyage du VILAIN MECHANT habituel : où que vous alliez, il vous suit et vous pourrit la vie.
Je ne passe pas à la conclusion sans évoquer aussi le love interest, la soeur de la défunte femme du héros (car bien-sûr sa femme est morte pendant la guerre, qu'est-ce que vous croyez ?), qui bien-sûr n'a jamais eu l'idée d'ouvrir sa bouche pour dire qu'elle était amoureuse de lui, et à qui, lui, n'a jamais eu les tripes d'aller dire qu'effectivement il l'aime bien. Comme par hasard. Et maintenant que le héros est parti au Pôle Sud, la jeune femme, qui est institutrice et gentille et douce, va hériter de la si enviable position de la nana qui attend et qui s'inquiète, le truc qu'on adore voir dans une série, eh bah là elle en a pour plusieurs épisodes, jusqu'à ce qu'il revienne, et qu'il reparte, et qu'il revienne... Vous saisissez le concept. Alors comme Haruka Ayase est une aussi grande actrice que je m'appelle Cunégonde, l'essentiel des fonctions du personnage féminin est donc d'avoir l'air inquiet et d'entrouvrir la bouche pour dire quelque chose dont on sait qu'elle ne le dira pas, en réalité, avant plusieurs heures de la série.
On arrive donc au moment où je conclus sur le pilote, et là vous pensez que tout est dit. Mon Dieu, qu'est-ce que ce doit être s'il en reste !? Eh bien figurez-vous qu'en dépit de mon mauvais esprit, je n'ai pas détesté Nankyoku Tairiku. Simplement, il faut beaucoup se concentrer pour ne pas voir tous ses travers, et ça n'a pas été chose facile pendant le visionnage de ce pilote.
Mais des séries qui mettent en valeur des actes (plus ou moins) héroïques avec une touche patriotique plus ou moins prononcée, on en a déjà vu, y compris voir surtout aux USA. Alors du coup, je suis un peu rôdée. Et personnellement, eh bien, certes, je ne me laisse pas aussi facilement emporter par le sentiment patriotique d'un pays où je n'ai jamais posé un orteil, mais ça ne m'empêche pas de passer un bon moment, pourvu de mettre au maximum mes sarcasmes de côté.
Avec son cast indigent (seul Takuya Kimura brille avec le brio qui est le sien), l'histoire cousue de fil blanc, les dialogues gorgés de guimauve jusqu'à la nausée et, ah oui, j'ai failli oublier les effets à la con (genre quand l'un des chiens mord la main du héros et qu'on voit pas DU TOUT que c'est une vulgaire main en plastique), il s'avère que Nankyoku Tairiku est quand même une bonne fresque familiale, regardable par le plus grand nombre, petits et grands, un vrai rendez-vous grand public.
Et qui fonctionne quand même vachement mieux pourvu d'être Japonais et d'avoir envie de se faire caresser dans le sens du poil...
A vrai dire, je crois sincèrement que le pilote de Nankyoku Tairiku était ce que la série pourrait nous faire de plus pénible : maintenant qu'à la fin de l'épisode, l'expédition est en route (mais en doutiez-vous ?), il va falloir que notre héros, ses toutous, ses amis et son vilain méchant de voyage, bravent le froid, la neige et la glace, comment ça je me répète, et il y a de fortes chances pour que tout le monde n'en revienne pas. Et là, les beaux discours, ça ira bien 5mn, mais c'est tout. Et donc, cette partie-là devrait être intéressante. Je l'espère. Je ne reste que pour ça.
Mais si vous ressentiez déjà des poussées d'urticaire simplement devant Band of Brothers (ça s'est vu), franchement, ne tentez pas Nankyoku Tairiku, ça pourrait avoir des conséquences dramatiques.
Et pour ceux qui manquent cruellement de culture : la fiche Nankyoku Tairiku de SeriesLive.