Le thème de la sécurité énergétique a atteint les préoccupations de défense et de sécurité depuis quelques années (cf. la préoccupation du Sommet allié de Riga 2006 en 2006).
La question n’est ainsi pas seulement une question économique, mais a aussi des conséquences sur la défense, au moins dans les objectifs de celle-ci.
La sécurité énergétique prenait initialement en compte les énergies carbonées : pétrole, tout d’abord, mais aussi gaz. A cet effet, les explications pétrolières d’un certain nombre de conflits de la fin du siècle ont fleuri (ex billet Libye et pétrole). Pourtant, si le facteur pétrolier a pu être un des déterminants, l’étude détaillée des déclenchements et des conséquences des conflits amènent à relativiser l’argument. Autrement dit, on n’a pas déclaré de guerre pour le pétrole. Toutefois, un certain nombre de zones pétrolifères se trouvent dans des zones conflictuelles, pour des raisons politiques, sociales ou ethniques : alors, le pétrole constitue effectivement un facteur amplifiant de la crise, attisant les intérêts des différentes parties au conflit.
La question du gaz apparaît comme plus prégnante en ce nouveau siècle. En effet, si les débats se poursuivent à propos de la réalité du pic pétrolier, chacun sent que la demande croissante de pétrole due à la convergence économique des émergents et la complication technique de l’offre nouvelle rende l’offre pétrolière moins aisée. C’est pourquoi le gaz apparaît comme une énergie sinon de remplacement, du moins de grand complément. Si le 20ème siècle a été celui du pétrole, le 21ème siècle sera probablement celui du gaz. Il s’ensuit que le questionnement géopolitique du pétrole s’est étendu au gaz, et les bons esprits se sont chargés de mettre en exergue la « guerre du gaz » qui s’est déroulée en 2008 lors du différend entre la Russie et l’Ukraine.
Il reste que cette arme ressemble à un fusil à un coup. En effet, d’une part une puissance qui tarirait les exportations tarirait ses ressources à proportion ; d’autre part, les situations de monopole sont relativement rares et chaque nation s’attache d’une part à mitiger ses consommations d’énergie, d’autre part à diversifier les sources d’importations, afin d’éviter qu’un seul acteur ne prenne un pouvoir trop important sur elle. On se rend compte ainsi que la sécurité énergétique ne suffit pas à rendre compte exactement de la question : elle englobe des politiques économiques de diversification des énergies, de maîtrise des ressources nationales (dans le cas de la France, hydro et nucléaire), de maîtrise de la consommation (économie d’énergie, amélioration technologique des infrastructures), et de développement des sources d’énergie renouvelables (pour lesquelles la France détient des positions fortes –éolien, marémotrice, échange thermique – sauf peut-être dans le cas du solaire).
Ceci explique pourquoi la sécurité énergétique est devenue la sécurité des approvisionnements énergétiques. Mais cela ne suffisait pas, et la question des « terres rares » a attiré l’attention des médias, et donc du public. En effet, plus que la « rareté » physique de ces métaux, c’est la rareté économique qui pose problème, puisqu’on a appris que la Chine détenait plus de 90 % de la production, et qu’en plus elle se servait de ce monopole pour servir ses intérêts (restrictions d’exportation en direction du Japon lors d’un différend territorial). Certes, plusieurs mesures ont été prises : relance d’exploitations qui avaient été abandonnées (car l’exploitation de ces gisements est extrêmement sale et polluante), développement de filières de recyclage, exploration de nouvelles sources comme les hauts-fonds des ZEE, … On remarquera au passage l’interaction entre cette rareté des ressources et la protection l’environnement.
On sait désormais que la sécurité des approvisionnements est d’abord une sécurité économique, et qu’elle ne concerne pas seulement les énergies, et notamment les énergies carbonées : d’autres ressources (parlons de matières premières) doivent être appréhendées par l’analyse : terres rares donc, minerais, produits agricoles (confer l’augmentation des prix des denrées, qui n’est pas le seul effet de la spéculation, et qui explique d’ailleurs en partie la croissance africaine des dernières années), autant de produits « commercialisés » qu’il faut sécuriser.
L’économie est définie comme la gestion de ressources rares : de ce point de vue, elle a le même objet que l’écologie, qui se préoccupe de gérer une ressource rare, l’environnement (ou la biosphère). En cela, économie et écologie se retrouvent et l’on voit que derrière la sécurité des approvisionnements, d’autres défis apparaissent : outre le marché des rejets de CO2 (protocole de Kyoto dit marché des droits à polluer), on voit apparaître de nouvelles tensions sur des biens considérés comme étant d’abondance : il s’agit tout d’abord des terres arables (qui se souvient qu’en théorie classique, on comptait la terre comme facteur de production en sus du travail et du capital ?), il s’agira demain des ressources dans des « biens communs » : eau, air, biodiversité, patrimoine génétique…..
Il faut élaborer en conséquence une stratégie de sécurisation de ces ressources ou, plus exactement d’accès à ces ressources. C’est ici que le mot stratégie prend tout son sens car un des débats actuels réside dans les stratégies militaires de « déni d’accès » mises en œuvre par certains pays émergents, et notamment la Chine. La notion de « déni d’accès » peut être importée du champ militaire vers un champ stratégique plus global, incluant la question des ressources, conjuguant à la fois des réponses civiles (économiques) et militaires.
A cet effet, outre une cartographie de ces ressources aujourd’hui rares ou potentiellement rares, il faut également comprendre que cette rareté croissante, due à une planète qui rétrécit (pression démographique), va de pair avec une augmentation des flux. La mondialisation est une augmentation des échanges de toute sorte (biens, personnes, argent, informations) et donc des flux qui s’entrecroisent. Nous resterons ici dans l’analyse des flux matériels, les flux immatériels (finance, information, cyber) faisant l’objet d’autres travaux.
La sécurité des approvisionnements est donc la sécurité des flux physiques, et cette sécurité a des aspects que pour simplifier on dira économiques et militaires :
- sécurité des accès :
- économiques : maîtrise capitalistique des accès, maîtrise technique de l’exploitation et de l’acheminement vers le point d’exportation : soit par mer (cargos, câbles, tubes) soit par terre (route, trains, tubes).
- Militaires : la sécurisation suppose d’une part une capacité expéditionnaire soit pour sécuriser une zone de production (cf. Kolwesi) soit une zone d’exportation (on pense au Golfe persique) ;
- Sécurité des acheminements :
- économiques : diversification des énergies (substituabilité) et des fournisseurs, choix des instruments adaptés (Southstream ou Nabucco ou les deux ?).
- Militaires : outre la capacité à sécuriser tel ou tel segment terrestre, la priorité sera donnée à des capacités navales qui permettent de couvrir des flux et d’intervenir : on pense aux différents rails : golfe d’Aden (Atalante), Méditerranée occidentale (Marseille Fos, Active Endeavour), Manche (Le Havre). Il ne faut pas oublier la sécurité des acheminements terrestres (gazoducs, acheminements intra-communautaires, transports route) et donc les capacités e contrôle de zone (terrestre et aérien)
- Sécurité du territoire national :
- économiques : maîtrise des ports (confer l’investissement chinois au port du Havre), renforcement des infrastructures (duplication et réversibilité), attention aux points durs (confer grève des dépôts 2009).
- Militaire : on se réfère ici à la Publications interarmées (PIA 3.32) sur l'emploi de la force pour les missions intérieures.
On le voit, d'une approche exclusivement économique on est passé à un e stratégie globale, utilisant des lignes d'action économiques mais aussi des dispositifs militaires.
Réf :
- L'OTAN et la sécurité énergétique, M. Rühe.
- Sur égéa, la catégorie "géopolitique des ressources" qui traite très souvent de cette sécurité plus large que la notion floue de sécurité énergétique.
O. Kempf