Il est des moments qui comptent plus que d’autres, des destins qui basculent, des instants exceptionnels qui gravent l’Histoire et marquent les esprits. Ces grands événements étaient, il n’y a pas si longtemps, assez rares. Aujourd’hui, tout et rien est événementiel, structurant, importantissime, vital, sans vraiment de hiérarchie : une décision politique, une émission de télévision, une naissance, une rencontre sportive, la crise…
Ces mêmes gens s’attaquent aujourd’hui à un morceau de bravoure : sauver ce qui reste de l’Europe et sa monnaie, entraînée dans une tourmente infernale qu’ils ont nourri, entretenu et même amplifié par vanité, mégalomanie et cupidité. Parce qu’en l’état actuel des chose, pour la vieille Europe, c’est le «money time». Le money time est cette période très particulière de toute fin de match dans une rencontre sportive, essentiellement au basket, ou la victoire se dessine dans les ultimes instants, où chaque action est cruciale, où chaque erreur, aussi minime soit-elle, se paye cash. C’est aussi le moment où dans les coursives, les derniers paris sont engagés, donc ceux qui peuvent potentiellement rapporter très gros…
Pour l’Europe politique, monétaire, économique, il reste moins d’une minute au buzzer, et les spéculations vont bon train : que va t’il se passer si un accord de règlement global de la dette n’est pas trouvé ? Certains spécialistes refusent même d’imaginer ce que seraient les conséquences d’un échec au niveau de l’économie mondiale, un espèce de big-bang à l’envers, un éclatement et un effondrement de la première puissance économique mondiale, l’effet domino sur les autres, etc, etc, inconcevable… On finira vraisemblablement par un accord de principe, à minima, sans autre action que l’habituel saupoudrage à la marge, qui condamnera les petites gens, encore eux, à un nouveau tour de vis, et préservera les hautes sphères de toute contribution. Et dans 6 semaines, on recommence.
De toutes parts, on fustige l’attitude de la Grèce, mais chez nous, nos vaillants représentants ont voté un budget sans aucune hésitation, bâti sur une prévision de croissance totalement farfelue, engendrant à lui seul plusieurs dizaines de milliards de déficits pour 2012, qui s’ajoutent aux centaines d’autres, accumulés sans aucun état-d’âme. Comment vouloir prétendre régler les problèmes de l’Europe, quand, dans ses murs, on alimente avec autant de soin le processus ? Peut-être, perdu pour perdu, s’agit-il de savonner consciencieusement la planche pour l’inéluctable alternance qui se prépare, pour mieux revenir ensuite… Quel que soit le résultat en fin de partie, les gagnants seront toujours les mêmes : la grande finance.
Je me demande si un échec ne serait pas finalement préférable, pour enfin bâtir autre chose.